Dans la zone aérienne de la Fondation Ricard, un ballon flotte, énigmatique. Relié à une maquette reproduisant l’espace d’exposition à échelle réduite, il en prolonge poétiquement les limites matérielles. Derrière lui, un morceau de ciel repose sur une paire de tréteaux, sculpture de nuages, objet banal à la forme céleste.
Les deux œuvres de Perrine Lievens, dont la legèreté atmosphérique n’enlève en rien à la rigueur conceptuelle, confèrent d’emblée à l’exposition une dimension onirique. La jeune diplômée des beaux-arts travaille sur la forme et son intégration à un espace. Elle détourne les usages des matériaux et des objets, contourne les évidences, propose une relecture du réel par la subjectivité de son regard. Un travail pour lequel on démasque la minutie d’élaboration et la force de l’imaginaire.
Avec Carine Parola, la réalité de notre quotidien recèle aussi sa part de fiction. Ses photographies ont l’apparence du normal jusqu’à ce qu’un élément inattendu vienne perturber notre lecture de l’image, dans un léger trouble mêlé de surprise. Certaines d’entre elles nous font même croire à une hallucination passagère, comme ce couple tendrement enlacé dans le sommeil, dont les jambes respectives ont été inversées, ayant pour conséquence la permutation des identités sexuelles et la Confusion des genres. Entre les deux degrés de perception possible, dans ce bref laps de temps de réaction nécessaire, s’immisce cette Inquiétante Etrangeté théorisée par Freud, celle ressentie devant la dimension fantastique du familier.
Par sa série, où les hommes se voient affublés des attributions féminines, et vice-versa, l’artiste aborde en filigrane la question de nos conditionnements sociaux et de la marginalité. Un arrière-plan documentaire renforcé par la neutralité (symbolique ?) du noir et blanc.
S’ils jouent avec différents degrés de réalité, creusant en nous des failles rationnelles, les diplômés 2007 s’en prennent également aux genres historiques. Avec humour, Antoine Roegiers ressuscite la tradition du portrait peint en interrogeant son aptitude à saisir le réel, créant des filtres pour rendre compte de la distance qui nous sépare de la mimesis. Lukas Hoffmann choisit comme sujets pour ses paysages des non-lieux, terrains vagues, immeubles abandonnés, tronçon de route désertée où la nature subsiste par le biais d’un arbre ou d’une étendue herbeuse. Á la fois constat de notre modernité, dans la tradition documentaire et objective des photographies de Bernd et Hilla Becher — avec cet emblématique château d’eau — et allégorie de la mélancolie et du temps qui passe, la série finit par exister pour elle-même, organisation de formes et de lignes à l’esthétique abstraite.
En conclusion de l’exposition, Eric Giraudet nous confronte à l’ordinaire par le biais d’une expérience hors du commun : la vision en relief. Munis de lunettes stéréoscopiques, nous voilà embarqués dans un roman-photo rural, dont l’action (ou plutôt la non-action) se déroule dans un petit village d’Ariège. Y vivent deux familles, ouvriers et propriétaires fonciers, qui partagent leurs journées entre activités agricoles et chasse. On devine la relation de subordination qui les unit. Autour d’eux, le temps semble arrêté. Le paysage désolé renforce cette impression d’errance, d’isolement. Une humanité privée de sens, entièrement absorbée par la monotonie hypnotique du quotidien…
La vision en 3D, dans sa faculté à détacher les sujets de l’arrière plan, à creuser artificiellement les perspectives, accentue notre prise de conscience du réel. Comme si l’artifice était nécessaire pour nous faire accéder à une certaine banalité, restée floue dans des conditions normales. Un moyen littéral de lui faire prendre du relief.
Recréé artificiellement, détourné, interrogé, le réel est passé aux cribles de nos jeunes diplômés, qui usent de la veine documentaire et des genres traditionnels du portrait et du paysage pour se positionner face au monde, témoignant d’un certain degré d’engagement — au sens d’une attitude concernée. Mais c’est la subjectivité qui fait la force de leur regard, à la fois amusé et mélancolique, en parfaite adéquation avec notre époque.
Œuvre(s)
Perrine Lievens
— Temps couvert. Sucre, bois. 160 x 120 cm
— Vue, 2006. 54 éléments de néon. 120 x 160 x 100 cm
Carine Parola
Confusion des Genres III et Confusion des Genres IV, 2008. Photographie noir et blanc, tirage baryté contrecollé sur aluminium. 70 x 70 cm
Antoine Roegiers
Moi, dormant, 2008. Installation film, betacam sur DVD. 3 min en boucle.
Lukas Hoffmann
Avenue du Président Allende, Villejuif, 2007. Tirage argentique sur papier baryté. 61 x 100 cm
Eric Giraudet
Un territoire, 2007. Diaporama d’images stéréoscopiques. 12 min