ART | CRITIQUE

Distorted Reality III

PCéline Piettre
@30 Mar 2009

Dans le travail de l’artiste #Bahreïnien, le sujet reste insaisissable, spectre de la mémoire contenant tout à la fois les mensonges du temps, de l’histoire et du réel.

Les portraits (et autoportraits) photographiques de Faisal Samra sont étrangement anonymes. Les visages s’y devinent par bribes, dissimulés sous des voiles ou des bandages, emprisonnés dans un mouvement qui gomme les traits, déforme les contours, désagrège l’identité — devenue fuyante, instable.
Il y est plus question d’absences que de présences, d’égarements que de rencontres avec soi-même ou de découverte de l’autre. Et quand il se distingue enfin à force de patience, le sujet reste à distance, séparé de nous par des filtres.
L’image est une illusion ! L’artiste saoudien nous le rappelle sans cesse. Il suffit pour s’en convaincre de s’arrêter quelque temps devant l’installation vidéo Surviving I, où le reflet d’une jeune femme, immergée dans une baignoire, épouse la mouvance de l’eau et son impermanence.

Méconnus, méconnaissables, ces visages se débattent, comme asphyxiés, comme s’ils cherchaient désespérément à être vus. Soumis à des torsions, défigurés, ils expriment, dans l’héritage de Francis Bacon, un trouble de l’être. A l’échelle individuelle mais aussi collective — les foulards solidement noués autour de la taille ou du crâne renvoyant aux pays du sud, ce «troisième monde (sacrifié)» comme se plaît à le nommer l’artiste, symbolisé par le perroquet dans Performance # 19.

Ici, le vêtement, son accumulation selon un principe anarchique, rend compte du choc et du malaise des civilisations, du poids des traditions. Le corps devient un territoire où les géographies, les cultures s’amalgament, se rencontrent ou s’opposent.
La série des mariées voilées mais habillées à l’occidentale est exemplaire de ces contradictions. L’agneau écorché qu’elles portent en guise de bouquet, peut-être le signe d’une innocence pervertie, est surtout la mise à nu d’une vérité toute crue. «La viande n’est pas de la chair morte, elle a gardé toutes les souffrances… Pitié pour la viande!» (Gilles Deleuze)

Si l’artiste s’acharne ainsi à exposer le réel, en révélant ses distorsions, c’est d’abord dans une logique de résistance. Pour lui, l’image n’est qu’un leurre. Et son œuvre, un système de lutte comme un autre : contre la culture visuelle des mass media, de la publicité, de la communication politique, contre la manipulation à grande échelle, dont les armes — vidéos, photographies — sont détournées à des fins critiques.

Faisal Samra
— Performance #58 (ensemble de six photos), 2008. Digital photo, Lambda print. 33 x 50 cm de chacun
— Performance #50 (Triptyque), 2008. Digital photo, Lambda print. 120 x 180 cm de chacun
— Performance #45 (Triptyque), 2008. Digital photo, Lambda print. 120 x 160 cm de chacun
— Performance #36, 2007. Digital photo, Lambda print. 133 x 100 cm
— Performance #19, 2007. Digital photo, Lambda print. 120 x 160 cm

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