Communiqué de presse
Liza Nguyen
Displaced
Rouge pour les maçons, vert pour les plombiers, bleu-gris pour les électriciens. Cela pourrait être juste une série sur un départ plein d’espoir. Les portraits de Liza Nguyen montrent de jeunes migrants en habit de travail, des Africains, installés ici à Ténériffe, leur nouveau pays. Les autorités locales assignent ces habits de couleur aux adolescents.
Elles ont élaboré des projets pour eux, elles les ont logés et leur ont offert une formation professionnelle. Les jeunes hommes se tiennent devant une porte en fer, qui au premier regard nous fait penser à une prison puis au bout de quelques instants de réflexion à une remise à outils. Subtilement, la photographe révèle les gestes et les expressions du visage : la main relâchée ou crispée, un sourire de circonstance, un regard défensif. Ceux qui sont habituellement rangés dans des catégories redeviennent ainsi des êtres humains avec leur individualité. Liza Nguyen les photographie à l’aube de leur nouvelle vie. Bienvenue en Europe.
Pourtant aujourd’hui en 2007, la ville de Los Cristianos, Ténériffe, ne s’autorise pas d’être sentimentale. Ces portraits font le coeur de l’installation « The Shipwreck / Le Naufrage », inspirée à Liza Nguyen par cette ville côtière où les bâteaux de réfugiés arrivent inlassablement des côtes africaines. Ici, à Los Cristianos les autorités enregistrent régulièrement les décès de ceux qui n’ont pas survécu à la traversée. Ici, la police met rigoureusement en place un dispositif de déportation des survivants ( les jeunes hommes photographiés par Liza Nguyen sont autorisés seulement car ils sont mineurs). Mais Los Cristianos n’est pas uniquement le point de chute d’un exode désespéré vers une Europe supposée paradisiaque. C’est aussi la destination des touristes fuyant vers le paradis des îles Canaries.
Les hôtels offrent buffets et petits déjeuners splendides, piscines luxueuses et plages dorées. Les touristes sont venus pour le soleil de l’Afrique, pas pour sa misère. Les gardes-côtes espagnols repoussent les opérations de sauvetage à la tombée de la nuit afin que les européens ne soient pas témoins de ces tragédies. Mais aussi Los Cristianos, et c’est évident, est le cadre choisi par de nombreux média pour mettre en scène et dramatiser l’arrivée de bateaux bondés sur le sable européen.
Cette plage est l’interface entre le monde occidental, le Tiers Monde, les média, les migrants, la police et les politiques. Rien n’est simple à Los Cristianos, et selon Liza Nguyen, un simple reportage ne peut mesurer le phénomène. La photographe propose un autre langage pour décrire l’endroit : celui des objets. Après tout, c’est le manque de biens d’un côté qui conduit à l’immigration et leur surabondance de l’autre qui rend possible le tourisme de masse. En se référant aux produits de consommation et à leur accessibilité, on peut expliquer la pauvreté et le luxe.
En s’appropriant les objets circulant sur place, Liza Nguyen crée un labyrinthe d’objets, confus et mouvant. Ils apparaissent seuls, sur un fond blanc, illuminés dans des boîtes et hyper-présents comme les produits des publicités. L’arrangement des boîtes lumineuses reflète la composition du « Radeau de la Méduse » de Géricault. Malgré son ironie et sa froideur, The Shipwreck, comme le tableau de Géricault, se veut une exploration de la douleur humaine.
Liza Nguyen choisit l’esthétique la plus simple pour l’effet le plus dur. Elle nous montre la répartition fonctionnelle des objets de Ténériffe et relativise ainsi le regard plein d’espoir des futurs électriciens, maçons et plombiers. Bienvenue en Europe. Voici les vêtements que la police espagnole retire directement aux réfugiés africains, pièce par pièce, tout finit aux ordures. Ici les lunettes de sécurité, les gants en caoutchouc, et les menottes des policiers effectuant leur travail. Ici les vêtements neufs pour ceux qui vont être rapatriés. Le savon, le dentifrice, la brosse à dents, le peigne donnés par la Croix Rouge. Il y a aussi un petit bikini, une casquette avec un palmier, un set de rackets de plage pour que les touristes puissent s’amuser. Ici, immaculé et bien plié, un sac pour masquer et déplacer les cadavres. Point final, le langage des objets nous rend muet.
Le langage des objets: «Le naufrage» DE Liza Nguyen de Christoph Ribbat. Traduction : Gaëtan Loppion, Nazira Taïrova< br>