Caroline Barc, Grégoire Bergeret, Nicolas Chatelain, Jérôme Diacre, François Durif, Stéphane Lecomte, Yazid Oulab, Ghislaine Vappereau, Eléonore Marie Espargilière
Disgrâce
Il est temps sans doute de donner une autre idée aux ordres intempestifs d’un ministère, d’un formalisme pompier de nos jeunes contemporains et même quelques vieux cons, et vraiment je ne veux pas dire ici qu’on est dans le haut de la crème — mais s’il suffisait de donner un coup de pied à un art qui n’est pas à la hauteur de ses prétentions et sans autre mesure, juste ce centimètre qui ferait des enjeux de chacun le plus grand bazar du beau qu’on connaisse, des colliers de perles sans fil.
Cela n’est pas situé dans le romantisme à la con des vieilles avant-gardes, mais ce petit endroit que l’on cultive chacun pour soi et qui, de temps en temps, est adressé par don, pour juste ce que cela vaut, un cadeau (…) et ne donne ni ne laisse rien d’humanité… car on est une armée à piétiner en attendant que chacun ait aiguisé l’arme de ses quant-à -faire.
De l’inquiétant empilement d’assiettes de Ghislaine Vappereau à des croquis architecturaux sur le motif mais en relief de Jean Laube, en passant et en s’attardant sur les dégommés de Diego Movilla, dessins déchus, motifs que l’effacement seul peut donner à voir, en se laissant bousculer par la balançoire de Caroline Barc ou lessiver par les machines de Vassiliki Tsekoura, on comprendra que chaque pièce de Disgrâce joue une note du silence mélodique du déséquilibre, de la recherche d’équilibre, de la tenue, de la tension. Ça passe, le pari de Disgrâce, c’est que ça ne casse pas.
Pourtant, c’est bien la perspective de la casse qui fait tenir les recherches montrées ici. Rien d’autre ne motive les téméraires qui commettent des œuvres aussi proches de la chute et aussi magistralement indemnes.
Car elles sont sauves, ces pièces si follement précaires, que ce soit l’irrévérence, l’humour, le dégagement, ou un surprenant usage tactique de la couleur qui les préserve de l’anéantissement.
En matière d’art comme ailleurs par chez nous, le constat de la guerre ambiante, larvée, innommée, et donc magistralement présente, est sans équivoque. La résistance, en revanche, pose davantage question. Les formes qu’elle prend tapinent souvent sur les trottoirs de la subversion fallacieuse. Sur le mode de la chaussette retournée, ladite subversion s’invertit, passe en loucedé dans le camp de la maladie mentale banalisée.
Et s’y retrouve en sécurité, aux abris surnuméraires de la facilité médusante du post-post-post moderne.
En poste restante, en somme, où la démocratisation de la culture permet à tout un chacun de retirer son petit colis explosif qui répand des confettis. La guerre même est captive de ce processus. Libérer la guerre serait une de nos pistes. Ou une de nos directions internes, le sens du sang dans le corps, à l’inverse du non-sens du sang répandu hors du corps. La guerre nous respirerait et nous la respirerions.
Ailleurs, où nous aussi voudrions rester pour avoir notre part de confort esthétique, il reste du travail, dont nous allons derechef prendre la totale absence de charge. Et rien ne nous y garantit, que ce soit précisé d’emblée, que nous avons raison contre tous, ce à quoi nous ne croyons pas. Nous incombe en conséquence, non l’impératif de délation: n’écoutant que notre courage nous n’allons pas balancer les patronymes de nos contemporains classés par catégories ; mais l’urgence de définir le terrain de la guerre réveillée ici.