Julien Prévieux, l’artiste qui avait envoyé des lettres de non-motivation aux entreprises dont l’éthique de recrutement lui paraissait douteuse, expose à la galerie Jousse quatre pièces à propos du capitalisme, de ses obsessions et de ses absurdités.
L’artiste a racheté certains ouvrages de la bibliothèque de l’escroc Bernard Madoff, saisie par le FBI après son arrestation, et les offre à notre regard. Une certaine littérature américaine s’exhibe ainsi, avec une ironique et nette prédominance du roman policier sur tout autre genre, représenté par ses grands maîtres dont Ken Follett, Ruth Rendell, Mary Higgins Clark, Harlan Coben, etc. Le Prix Pulitzer Backlash de Susan Faludi, enquête sur la condition féminine aux États-Unis, n’a eu droit qu’à une mention brève sur un post-it: «Quelqu’un me l’a donné mais je ne l’ai pas encore lu».
Cette installation, ambivalente, est certes cruelle car livrant à nu un homme honni de ses contemporains — ses goûts, son écriture, ses relations (certains livres sont dédicacés) — tout en soulignant l’adéquation du destin de cet homme avec ses lectures, regorgeant de scandales financiers et politiques. Mais cette pièce est aussi émouvante, dévoilant l’homme derrière l’escroc.
Moins tendre en revanche est l’autre pièce de cette «trilogie» intitulée Forget The Money. Julien Prévieux a extrait desdits ouvrages des phrases contenant le mot «money» et en a fait une liste où le maudit mot est redondant, inévitable, obsessionnel. Une pièce sonore complète le dispositif: emphatique, nerveux, un acteur déclame ces sentences définitives où «argent» est le maître (traître?) mot.
Parmi les absurdités que le capitalisme engendre, les brevets déposés par les multinationales sur nos gestes sont minutieusement reportés par Julien Prévieux grâce à une animation reproduisant mécaniquement lesdits mouvements et indiquant le numéro du brevet concerné.
Cette vision utilitariste de l’humain est mise à mal dans Anomalies construites, vidéo de huit minutes durant laquelle un homme témoigne en voix off de l’exploitation dont il a été victime lorsqu’il a bénévolement aidé Google à créer le logiciel Sketchup. Le travail déguisé, très en vogue dans notre génération «open source» et dont les multinationales n’hésitent pas à tirer profit, est une autre des multiples folies du capitalisme.
Mais Julien Prévieux ne s’arrête pas à ces constats, il est actif, menant notamment un atelier avec des membres de la brigade anti-criminalité du XIVe arrondissement de Paris, leur apprenant à dessiner à la main des diagrammes utilisés pour identifier des zones d’intervention.
Ces diagrammes, fruits d’algorithmes extrêmement complexes, sont d’ordinaire générés par des ordinateurs. Ainsi, l’utilisateur se réapproprie-t-il son outil de travail. Une initiative qui plairait certainement au philosophe Bernard Stiegler qui décrivait dans son ouvrage Réenchanter le monde: La Valeur esprit contre le populisme industriel les dérives du capitalisme et en appelait à une réappropriation des outils par les consommateurs, les enjoignant de n’être plus seulement utilisateurs mais praticiens.
«Dimensions in modern management» prouve que Julien Prévieux est décidément un artiste passionnant, qui sait dire avec une raillerie forcenée les travers de notre société déshumanisée.
Å’uvres
— Julien Prévieux, Anomalies construites, 2011. Vidéo. 7’40
Image: Vincent Bidaux, Christophe Bourlier, Robin Kobrynski. Son : Super Sonic Productions. Voix : Olivier Claverie. Production galerie Edouard Manet
— Julien Prévieux, What shall we do next?, 2011. Animation 3D. 4 min
— Julien Prévieux, Forget the money (Bibliothèque personnelle de Bernard Madoff), 2011. Installation, impressions jet d’encre, voix : Charlie