L’univers que décrit Amelie von Wulffen contourne l’Histoire pour s’arrêter sur les récits individuels, les siens en particulier. Ses installations, principalement composées de mobiliers, de peintures et de photographies, mettent en scène cette intrusion volontaire, non pas comme une violation de l’intimité mais plutôt comme le moyen d’investir la mémoire et les lieux de la mémoire.
Die Vertuschung, la dissimulation en français, fait cohabiter des lits avec une série de peintures, laquelle recouvre la quasi-totalité de la salle. On plonge dans la galerie comme on s’immiscerait dans un espace privé. Les peintures brossées en large trait laissent apparaître des visages (cette jeune femme au port altier) ou des morceaux de paysage vaguement germanique.
Certaines de ses compositions, si ce n’est la plupart, s’associe à une photographie fichée à l’intérieur du cadre. Amelie von Wulffen y montre des intérieurs, cette fois-ci plus incarnés: une cuisine, un salon, une chambre, probablement des clichés de sa propre maison familiale.
La maison résonne d’ailleurs dans l’ensemble de cette exposition. Pas uniquement comme le territoire de l’intime, aussi comme le dernier rempart protecteur où s’enfouissent les secrets et peut-être bien les démons. A l’autre pôle de ces clichés, à la limité de la visibilité, Amelie von Wulffen a placé les oeuvres d’un aquarelliste allemand retrouvées dans la maison de famille. Tout un corpus d’images au charme tranquille décrivant les paysages de la puissante Allemagne ou ailleurs d’aimables vues d’un Paris ensoleillé.
Une naïveté confondante et plus que tragique lorsqu’on sait que ces aquarelles ont été réalisé pendant la Seconde Guerre mondiale. D’autres pièces plus récentes du même auteur les accompagnaient. Celles-ci prenaient l’exact contre-pied des précédentes puisqu’elles glissaient vers un art abstrait (valeur sûre de l’après-guerre), plus que jamais de circonstance…
Voilà ce qui agite le travail d’Amelie von Wulffen: il y a d’une part les photographies d’intérieures qu’elle accompagne de son propre geste pictural, geste aimant et protecteur. Et il y a ces aquarelles qu’elle montre au pied des lits, ce bien familial maudit et ces complicités obscures, comme une gangrène, comme un cauchemar qui fait suinter les murs de la précieuse maison.
La Die Vertuschung fonctionne donc à double sens: l’horreur que l’aquarelliste se borne à dissimuler et l’intervention de Amelie von Wulffen, en surplus des clichés et des aquarelles, pour à son tour noyer la mémoire dans un flux chaotique de peinture.
La noyer pour mieux l’occuper et l’annexer. Au-delà du récit personnel, Amelie von Wulffen s’intéresse à l’écho que provoquent l’Histoire ou les histoires dans les situations présentes. La dissimulation, nous dit l’artiste, c’est en définitive la récupération de l’histoire, une manière de la réexaminer, de la relire ou la réécrire. Ce que tout «travail de mémoire» est susceptible de produire dans ses excès.
Amelie von Wulffen
— Sans titre, 2008. Encre de Chine. Aquarelle sur papier. 170 x 252 cm.
— Sans titre, 2008. Encre de Chine, aquarelle, couleur à retoucher sur papier. 197 x 195 cm.
— Sans titre, 2008. Encre sur papier. 112 x 136 cm.
— Sans titre, 2008. Encre sur papier. 83 x 116 cm.
— Sans titre, 2008. Encre de Chine, aquarelle sur papier. 221 x 243 cm.
— Sans titre, 2008. Photographie, encre de Chine, couleur à retoucher sur papier. 184 x 219 cm.
— Sans titre, 2008. (En collaboration avec Lucio Auri) Technique mixte. 250 x 90 x 70 cm.