Au milieu de la grande salle, quatre moulages colorés de troncs d’arbres sont dressés sur des surfaces réfléchissantes et vont pivotant sur eux-mêmes; contre les murs, en une sorte de face-à -face décalé, apparaissent quatre miroirs sillonnés par différents réseaux de lignes géométriques.
Quelque chose fait œuvre, ici, mais ce quelque chose provient d’un processus de modelage de l’espace autant que des objets qui y prennent place. Il s’agit de transformer des éléments plus ou moins naturels, plus ou moins familiers, en artefacts.
L’œuvre n’est pas tant dans telle ou telle pièce singulière que dans l’intervalle et l’interaction entre les objets usinés et assemblés par l’artiste, dans leur rapport, leur commerce avec l’étendue, chacun des objets façonnés devenant l’élément minimal ou le rouage d’une configuration dynamique déployée à partir de lui.
Qu’est-ce qui fait œuvre, en fin de compte ? La « petite forêt artificielle aux miroirs » (comme on peut dire de certaine Vénus à sa toilette) constitue le point de départ d’une expérience de l’espace littéralement renversante — assez proche, au passage, d’une autre décrite par Jean Epstein dans son Cinématographe vu de l’Etna.
En arpentant la pièce centrale, on éprouve d’abord un vertige comparable à celui occasionné par la traversée d’un palais des glaces — silhouette dilatée ou amenuisée, de surcroît hachée par les lacis géométriques. Mais le jeu des reflets perturbe aussi bien la stabilité de l’espace alentour : sans cesse dédoublés et, pour ainsi dire, passés à la moulinette d’une duplication tout à la fois fragmentaire et gauchissante, sol, murs, plafond bien réels de la galerie se dérobent sous nos yeux.
Dérèglement, perte progressive des repères topologiques… Le vertige s’accroît encore, sitôt que l’on se penche sur les disques d’inox où tournent les arbres : incliné vers son double tel l’imprudent Narcisse, l’observateur est bientôt happé par le reflet ondoyant de l’arbre. Et, descendant dans le sol meuble du miroir, le regard chute dans l’abîme ouvert par les reflets déformés du plafond et de la verrière, tombe dans le ciel, pour voir subitement apparaître tout un dehors insoupçonné…
Par l’emploi systématique de surfaces réfléchissantes disposées avec soin, l’installation se transforme en un vivier quasi illimité de reflets instables. La plupart des commentaires de l’œuvre de Didier Marcel mettent l’accent sur la dimension ironique d’un geste soucieux d’interroger notre conception — notre imaginaire occidental — du naturel. À cela, il faut ajouter que, pour lors, la variation affolante des images spéculaires semble travailler tout particulièrement sur les puissances du reflet.
Qu’est-ce qu’un miroir, en fin de compte ? À coup sûr, le meilleur instrument pour plier, démonter, remonter, questionner et jusqu’à chambouler l’espace, fragment sur fragment, angle de vue contre angle de vue.
— Didier Marcel, Sans titre, 2003. 4 moulages de troncs (chêne, sapin, hêtre, peuplier) en résine polyester, surface traitée en flocage, coloris : rose, mauve, blanc, violet; socles tournants : disques en inox poli-miroir. Troncs d’arbres : 300 cm x 40 cm; socles : Ø 120 cm.
— Didier Marcel, Sans titre, 2002. Inox poli-miroir avec motifs sérigraphiés, dos en résine polyester. 117 cm x 180 cm.
— Didier Marcel, Sans titre, 2003. Pile de 36 éléments, bois de bouleau serti d’inox poli-miroir. Dimensions variables.