Présentation
Giovanni Lista
Dicrola — Processus Art
Au milieu des années 60, lorsque la domination américaine s’affirmait de plus en plus dans le monde de l’art, le «Process Art» fut l’une des formules qui caractérisa le travail des artistes d’Outre-Atlantique attachés à nier toute forme achevée de l’œuvre. Ce courant, qui se nomma également «Anti-form», refusait la mythologie d’une pérennité intangible du chef-d’œuvre ainsi que le pouvoir du musée en tant qu’espace sacralisant de l’art.
La réponse européenne à cette tendance était incarnée par l’œuvre de Gerardo Dicrola, un artiste au talent multiple, qui a prolongé les idées des artistes américains tout en les déclinant sur des positions bien plus radicales: le «Processus Art» dont il s’est voulu l’initiateur concerne autant le devenir de l’œuvre d’art que le devenir du monde.
Au lieu de revendiquer un simple statut de précarité de l’œuvre, il aspirait à un art capable de traduire la mutation incessante des êtres et des choses. Autrement dit le «Process Art» des artistes américains se résumait à être le prologue du «Processus Art» de Dicrola qui tenait de Nietzsche, lu à travers De Chirico, sa célébration du devenir en termes de création continue.
En même temps, face à la tendance américaine, Dicrola sut repousser la primauté du projet ou la seule affirmation des valeurs intellectuelles. Il choisit au contraire d’explorer les ressources expressives du statut le plus physique du langage de l’art. Sa recherche s’est ainsi rapprochée de l’Arte Povera et parfois du Nouveau Réalisme, suscitant alors l’intérêt du critique d’art Pierre Restany qui y a vu une démarche parallèle à son propre engagement pour une autonomie de l’art européen face à l’hégémonisme américain.
Cet essai lui rend justice en analysant également ses travaux récents dont les implications conceptuelles se prévalent toujours d’un dialogue des plus intimes avec la matérialité de l’œuvre qu’il exacerbe en termes d’analyse critique.
Ses «tableaux rouillés» apparaissent comme de véritables objets philosophiques sur le devenir et sur l’éphémère qui sont les catégories matricielles à la fois de l’art et de la destinée humaine. Dicrola a entrepris aujourd’hui un travail sur l’image en poursuivant, avec ses «scanachromes», une longue réflexion sur les mythologies collectives et sur les errances idéologiques de notre époque.
Giovanni Lista est directeur de recherche au département des sciences humaines du CNRS, à Paris. Spécialisé dans l’étude des avants-gardes, il est l’auteur de nombreux ouvrages critiques sur des artistes modernes et contemporains, ainsi que sur des mouvements ou sur des sujets plus vastes, tels que le futurisme, le dadaïsme, l’arte povera, la performance, la photographie cinétique, etc. Il a participé à l’organisation d’importantes expositions internationales à Paris, Tokyo, Rome, Londres, New York.