L’artiste brésilien Vik Muniz revient nous offrir ses nouveaux portraits photographiques. Pour chaque nouvelle série, il renouvelle à la fois sa thématique et ses moyens d’expression. Il change de médium mais pas de point de vue. A chaque fois la photographie reste au centre de son travail, mais très vite elle se laisse oublier. Le cliché est le résultat final d’une image qui va disparaître de la réalité pour mieux se révéler sur la pellicule.
Reconstituant des scènes et des visages médiatiques, artistiques, à l’aide de chocolat ou de pâte à modeler, l’artiste joue avec délectation sur des sentiments contradictoires. Comme toujours dans ce genre de travail, on ne sait pas très bien si le tableau final est une dénonciation ou une dévotion de l’image médiatique pré-mâchée, prédigérée. Vik Muniz s’en fiche et en bon anthropophage, il cannibalise toutes ces images qui, consommées par les masses, ne peuvent devenir que kitsch.
La Joconde et les Marylin Monroe ne sont même plus des icônes modernes, tout au plus des images d’Épinal destinées à un marché planétaire. Les chefs-d’œuvres des palais nationaux et autres musées sont devenus, au mieux des biens culturels quand on les contemple, au pire des produits dérivés quand on les achète dans les boutiques.
La série précédente, Erotica, était un abécédaire érotique réalisé en pâte à modeler. L’originalité n’était pas dans l’affichage d’une pornographie balisée et banalisée par internet (Thomas Ruff photographie de telles scènes sur le web), mais dans les moyens qu’il employait pour représenter ces orgies virtuelles.
Au lieu de photographier un écran, l’artiste préférait peindre lui-même les vulves et les glands à l’aide de cette pâte à la couleur et à la texture de chewing gum. Le résultat était saisissant, car on avait l’impression d’être devant les toiles d’un Lucien Freud. La chair n’y était pas écranique ou glacée, mais pesante et suintante. Le photographe s’était changé en Pygmalion pour donner la vie à cette glaise d’enfant.
Vik Muniz intéresse de près le monde de l’art, qui lui rend bien. Il parvient à refaire du Sherry Levine, tout en restant original. Il pousse plus avant la relation qu’entretiennent une œuvre et sa copie. Il faudrait remonter au Pop art, et plus précisément à Warhol, pour commenter cette histoire qui mélange la copie à l’original, qui confond ersatz et produit dérivé.
Pour «Diamond Divas et Caviar Monsters», l’artiste a laissé de côté le monde de l’enfance pour aller voir du côté du luxe. Le chocolat et la pâte à modeler laissent la place à des diamants (d’une valeur de 550 carats !) et à du caviar. Les actrices sont peintes en diamants, normal ce sont des stars, elles doivent briller; tandis que les monstres, de cinéma précisons-le, sont dessinés aux oeufs d’esturgeons (la provenance n’est pas indiquée).
L’exposition fonctionne dans cette double confrontation cinématographique et gastronomique. Deux galeries de portraits s’affrontent, d’un côté les belles : Romy Schneider, Brigitte Bardot, Sophia Loren, Catherine Deneuve, etc.; de l’autre côté, surgit un bestiaire où trônent Frankestein, Dracula…
Le marché de l’art aime ce qui brille, ce qui flatte, et tant pis si le chic est en toc. Le miroir, celui des Vanités, est maintenant celui des m’as-tu-vu, il se pulvérise en poussière étoilée sur les corps et les vêtements mais également sur les toiles des peintres.
Nous sommes dans une ère de paillettes, les femmes se maquillent avec cette poudre à briller, elles collent sur leur peau des cristaux pour refléter les lumières des boîtes de nuit, elles se fardent les paupières et les tempes avec du strass; on retrouve sur les jeans «customisés» des pierres de pacotilles, et les nombrils sont percés de pierres précieuses.
Il en va de même en art, les perles, les pierres sont brodées, cousues et affichées comme des pigments, elles servent de rehaut pour toutes les compositions fashion.
Avant, l’or était seul à briller, la fameuse Fontaine de Duchamp revisitée par la même Sherry Levine avec une bombe aérosol dorée, ou le Pot de Raynaud trônant devant le Centre Pompidou sont deux exemples parmi d’autres de cette soif d’alchimiste. Warhol, quelques années auparavant, recherchait, convertissait en monnaie verte, les reflets métalliques de ses sérigraphies. Peindre «comme une machine» permettait de transformer les reflets argentés de sa peinture en monnaie sonnante et trébuchante. Cette fascination pour les dorures, pour ce qui brille, témoigne bien d’un art des Vanités, aujourd’hui disparu, mais qui se plaît à réapparaître à chaque décennie.
Notre époque se complaît dans le faux, dans la contrefaçon, dans la propagande communicationnelle, dans les fausses pubs, les faux-corps, les fausses caméras cachées. Notre monde virtuel n’est pas à mettre en cause, il a seulement deux visages différents et non assimilables : le clone et le sosie.
Depuis le XVIIe siècle, l’âge d’or des Vanités en Europe, les artistes n’ont pas cessé de nous sensibiliser à ce temps qui passe, ils n’ont pas cessé de guider notre regard sur ce qui brille. Les tables d’antan étaient dressées avec des mets ruisselants, les natures mortes s’éclairaient des halos des chandelles, les bulles de savon étaient prêtes à éclater, les bagues et les pierreries des hétaïres dans les tableaux hollandais brillaient d’un éclat prêt à rendre l’âme.
Ces symboles représentaient le temps qui passe, désormais il faut se consoler de notre quart d’heure de célébrité promis. Le temps qui s’égrenne du sablier est remplacé chez Muniz par des grains de caviar et des pépites de diamant. Comme un maître flamand, l’artiste dresse le portrait de notre époque.