Direction vers un monde enchanté. Dès que l’on pénètre dans la salle où se déploie l’installation de Martine Aballéa, nous voilà propulsés dans un voyage sans fin. L’espace du rez-de-chaussée est pour l’occasion métamorphosé en un large corridor obscur. Un parcours labyrinthique qui n’a rien à envier à celui d’Alice au pays des merveilles.
Les murs de béton de cet ancien centre industriel sont cernés de portes, fenêtres et portes-fenêtres, toutes blanches. Certains de ces éléments, en suspension, flottent dans l’espace. A l’image d’une photographie surréaliste des années 30, ici les ombres portées, très marquées, construisent un décor géométrique éphémère.
En raison de leurs agencements disparates, les éléments (des ouvertures à quelques centimètres du plafonds ou encore des moitiés de portes seulement visibles qui donnent l’impression de s’enfoncer progressivement dans le sol) semblent dénaturer les proportions de l’espace qui les accueille.
A ceci, s’ajoutent des cimaises temporaires, creusées d’ouvertures à échelle humaine. Il en résulte un espace démultiplié, tout en contraste, alternant les vides et les pleins, l’ombre et la lumière, le noir et le blanc.
La plasticienne Martine Aballéa a conçu cette installation d’envergure comme un décor de théâtre ou de cinéma, ou comme l’arrière-plan d’une nouvelle fantastique. L’atmosphère est propice à se créer sa propre fiction, et à arpenter solitaire et mélancolique l’espace plongé dans la pénombre. Une présence sonore accompagne les visiteurs aux allures de fantômes errants (le morceau country Walkin’After Midnight de 1957 de Pasty Cline).
Un jardin aux couleurs luxuriantes (du pourpre au vert chatoyant), nimbé d’une lumière surnaturelle, vient s’inscrire dans ce parcours. Ses taches lumineuses fluorescentes dessinent un sous-bois. Le Jardin d’Ibos (2011) est davantage un paysage mentale qu’une simple représentation illusionniste. Il s’agit d’une photographie grand format, collée à l’angle de deux pans de mur. On y reconnaît la facture des séries que Martine Aballéa réalisa en 2009.
D’autres images métaphoriques viennent nourrir cette vision irréelle. En guise de trompe l’œil, deux projections photographiques en noir et blanc de part et d’autre de l’espace, tantôt une porte-fenêtre elle-même occultée et décorée d’un rideau de type manoir, tantôt un escalier sans fin ou encore la vision surréaliste d’un couloir étroit et flouté. De quoi devenir ici l’heureux prisonnier d’un rêve sans fin. Et ce n’est pas l’artiste qui le contestera: «Je souhaiterais que les gens se perdent dedans, commente-t-elle, une perte de repères agréable».
Le titre de l’installation, La Maison sans fin est un hommage à la légende de Sarah Winchester qui fit construire une maison en Californie démesurément grande et, paraît-il, hantée. Les bizarreries de construction, comme des escaliers qui montent au plafond, des couloirs sans fin, des portes donnant sur le vide, des fenêtres au sol et un jardin énigmatique, ont fait de ce manoir sa renommée. Le désir d’un monde infini a nourri les utopies artistiques les plus folles, à l’instar de la Maison sans fin de l’architecte Frederick Kiesler dans les années 20, ou encore les colonnes sans fin du sculpteur Brancusi. Et si le monde n’était qu’un circuit fermé? Eternel retour.
Cette Maison sans fin du Centre régional d’art contemporain de Sète est marquée par l’empreinte de Martine Aballéa, qui avait déjà conçu pour le Centre national de la photographie une maison avec corridor, patio, chambres à coucher et salon de musique. A chaque fois, elle compose des univers marginaux où le temps s’est comme arrêté et où des images flottantes laissent place à la perspective utopique du rêve.
Å’uvre
Martine Aballéa, La Maison sans fin, 2012. Installation.