Conçu comme un projet de collaboration, et ce avant même de se projeter dans la forme d’une exposition, Dialogic Park I répond à la volonté des deux commissaires —Cédric Libert et Renaud Huberlan — de mettre les procédures propre à chaque discipline au centre du dispositif de réflexion. Privilégiant le processus, la rencontre et les échanges entre les acteurs de disciplines voisines et pourtant bien distinctes, l’exposition ne propose pas le spectacle habituel d’un regroupement d’œuvres d’art, mais bien la manifestation plastique d’un processus collaboratif.
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Apparaissant comme l’un des principes de la pensée de la complexité chez Edgar Morin, le dialogique est ici au fondement d’un projet de collaboration artistique. Désignant l’interaction de deux consciences tendues vers la production d’un discours commun, la notion touche ainsi à la question plus vaste de l’altérité. «Quand la différence ne s’oppose pas à l’unité, il n’est pas nécessaire de gommer les aspérités ni même les contradictions». Ainsi défini par Renaud Huberlant en introduction au catalogue de l’exposition, la démarche sous-jacente au projet induit un rapport spécifique aux objets présentés.
Résultat visuel d’une tension entre similitudes et points de disjonction, entre l’unité nécessaire à l’intelligence d’un projet et la diversité des pratiques et des modes de pensée, les œuvres produites soulignent le potentiel créatif et expérimental d’un exercice de confrontation.
Réunis en groupes de travail distincts, les créateurs de Dialogic Park I présentent quatre interventions pensées et élaborées ensemble, impulsées par la volonté d’introduire une subjectivité critique dans différents modes d’appréhension de l’architecture.
Vaguement déplacer un arbre, projet proposé par le collectif d’architectes V+, Sylvie Eyberg, Simona Denicolai et Ivo Provoost (artistes), Pierre Huyghebeart de Speculoos et Diane Steverlynck (designers), consiste en un geste infime sur l’espace urbain.
Devant l’entrée de Bétonsalon, l’alignement de jeunes magnolias suscite l’intérêt des créateurs, tandis que leur projet commun se profile progressivement, impulsé par un questionnement sur les possibilités d’une perturbation signifiante d’un espace urbain normalisé. Faire pivoter à 180° l’un des arbres pour le soustraire à son alignement sera l’objet de multiples démarches auprès des services techniques de la Ville de Paris. Rencontrant une succession de refus, le projet en suspens, trouve une manifestation sensible et doucement ironique dans l’installation d’un panneau annonçant à l’imparfait un chantier improbable.  Â
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Eléments périodiques de méthode, présenté à l’intérieur de l’espace d’exposition, réunit Nicolas Firket (architecte), Jean-Didier Bergilez (architecte et théoricien de l’architecture), Benoît Platéus (artiste), Boy Vereecken (graphiste et artiste) et l’Atelier Blink (designers).
Prenant la ville comme dénominateur commun, les créateurs ici réunis s’interrogent sur les possibilités d’une manifestation plastique de la compilation dialogique de leurs savoirs respectifs. La table de Mendeleïev, classification des éléments chimiques constitutifs de notre environnement, fait ici l’objet d’une manipulation reliant chaque numéro atomique à une image apparentée à l’espace public, accompagnée de notions abstraites situées au croisement de disciplines distinctes : vitesse, suspension, superposition, relativité…
De la chimie à l’architecture, la table de Mendeleïev retranscrite sous la forme d’un tableau de feuillets en libre service, cristallise une multiplicité de savoirs et de méthodes, compilés dans la logique d’un croisement de regards sur l’environnement urbain. Â
Capricciorama, réalisé par Adrien Verschuere (architecte), Marcel Berlanger (artiste), Renaud Huberlant (graphiste), Anne Masson et Eric Chevalier (designers), prend la forme d’une toile imprimée divisant l’espace d’exposition en deux parties symétriques. Déclinée sur les modes du plan d’architecte, de la trame textile ou encore du plan de montage graphique, la grille apparaît rapidement comme le point de convergence de leurs pratiques respectives et devient l’élément moteur d’une démarche collaborative.
Rassemblant une série de documents issus d’un imaginaire commun, les acteurs de Capricciorama se livrent à un exercice de collage visuel inspiré des Vedute et Capricci du XVIIIe siècle. Ce processus d’assemblage et de superposition s’achève par l’élaboration d’une image plurielle, dont la position stratégique détermine une appréhension dialogique de l’espace d’exposition.
Divisé en deux parties rigoureusement symétriques, l’espace s’ouvre au visiteur en deux points —de part et d’autre de Capricciorama—, la toile agissant comme un filtre dialogique. Manifestant la tension sous-jacente à l’ensemble du projet, celle-ci figure la coexistence de l’unité issue d’une démarche collaborative et d’une diversité de pratiques, maintenue et assumée.
Quatrième et dernière intervention de Dialogic Park I, A-Cross est le fruit de la rencontre entre le collectif d’architectes Anorak, le studio de graphisme Pleaseletmedesign, Xavier Mary (artiste), et Elric Petit (designer).
Signe graphique, marquage spatial ou élément structurel de composition géométrique, la croix est utilisée comme catalyseur de pratiques diverses. Décliné selon quatre modalités de mise en espace, le motif se fait le vecteur d’un croisement de regards.
Matérialisé sous la forme d’un objet tridimensionnel, il souligne l’espace architectural du lieu d’exposition en en prenant la mesure par un déploiement sculptural.
De l’autre côté de Capricciorama, le même objet disposé au sol devient objet d’habitation, banc cruciforme sur lequel les participants du colloque Dialogic Park I —organisé à Bétonsalon le 4 juillet dernier— étaient invités à s’asseoir pour échanger sur le thème de la construction d’une nouvelle pensée de la création artistique, dans la logique d’un renouvellement de l’approche de chaque discipline. Plaqué sur l’un des murs, la croix blanche, presque imperceptible, signale de manière subtile le statut traditionnel de l’œuvre d’art, objet normalisé par son contexte de monstration.
Le signe se manifeste enfin à l’extérieur du centre d’art: plié en deux, il s’adapte alors aux particularités architecturales de la ville, soulignant l’introduction d’une perception subjective et renouvelée de l’environnement urbain.   Â
Amenés à enrichir à leur tour la réflexion qui s’est trouvée à leur point d’origine, les objets exposés dans le cadre de Dialogic Park I apparaissent comme la manifestation visuelle de leur processus d’élaboration. Concernant tout particulièrement les procédures propres à chacun selon sa discipline, l’échange rendu manifeste souligne la diversité autant qu’il génère à la marge un lieu intersubjectif de conflit ou de pure expérimentation.Â
Dernier volet de la saison «Espèces d’architecte», Dialogic Park I porte dans son titre la possibilité d’un élargissement futur, le I laissant ici une porte ouverte à la continuation d’une pensée et d’une création collaborative.
Le projet, audacieux tant dans la forme que dans son esprit expérimental, trouve à Bétonsalon un lieu d’investigation propice, rejoignant la démarche propre au «centre d’art et de recherche» qui tend toujours davantage à explorer de nouvelles formes de création et de mise en exposition.
Anorak, Xavier Mary, Big Game, PleaseLetMeDesign
— A-cross, 2009
Adrien Verschuere, Marcel Berlanger, Anne Masson & Eric Chevalier, SalutPublic
— Capricciorama, 2009
Jean-Didier Bergilez, Nicolas Firket, Benoît Platéus, Atelier Blink, Boy Vereecken, Harrisson
— Eléments périodiques de méthodes, 2009
V+, Simona Denicolai & Ivo Provoost, Sylvie Eyberg, Diane Steverlinck, Pierre Huyghebeart
— Vaguement déplacer un arbre, 2009