ART | EXPO

Détruire, disent-ils

22 Jan - 28 Fév 2009
Vernissage le 22 Jan 2009

Cette exposition montre le regain d’intérêt des artistes pour l’architecture et l’aspect plastique de la ville et de sa destruction.

Mathieu Abonnenc, Lara Almarcegui, Cyprien Gaillard, Clemens Von Wedemeyer, Raphaël Zarka, Zenchen Liu
Détruire, disent-ils

Depuis le début du 21e siècle, on assiste à un phénomène d’accélération des changements urbains et du rythme des constructions de tous types qui accompagnent le développement exponentiel de la population humaine et de ses activités. Ce phénomène s’accompagne de mutations extrêmement importantes qui transforment en profondeur le paysage urbain et rural, son architecture et sa structure. Ce colossal remaniement des villes s’accompagne d’une entreprise de destruction tout à fait proportionnelle. Ce phénomène est sans commune mesure avec ce qui a pu exister par le passé même s’il est arrivé que des mouvements urbains d’aussi grande ampleur aient déjà vu le jour: on peut effectivement penser à la construction des cités en banlieue au sortir de la seconde guerre mondiale, ou, phénomène adjacent, la création de villes nouvelles dans le années 70. Ce qui fait une réelle différence en ce début de 21e siècle est le découplement d’avec une progression concentrique ou linéaire qui a caractérisé le développement urbain de l’Europe ou de l’Amérique du Nord et la prépondérance de ces mutations en Asie, plus particulièrement en Chine et au Moyen Orient: en Chine, des villes comme Shangai ou Pékin sont profonément remodelées, des pans entiers de la ville disparaissent, les chantiers défient l’imagination: entre 1997 et 2007, 4000 tours ont été construites à Shangai, des anciens Huttongs, l’habitat traditionnel fait de petits collectifs au centre de Pékin, il ne demeure que quelques témoignages à vocation touristique ; à Dubai, ancien état désertique peuplé de bédouins, les tours les plus hautes du monde s’élèvent en plein désert et défient les constructions occidentales les plus audacieuses.

Les énormes chantiers de destructions n’échappent évidemment pas à l’attention des commentateurs de tous bords, qui y voient le moment d’un nouveau paradigme qui se met en place: il est intéressant de lire à ce propos le livre de Mike Davis, déjà éminent scrutateur de L.A. et qui voit à travers l’expansion débridée de la métropole des émirats arabes, rien de moins que l’avènement de ce qu’il appelle le stade Dubai du capitalisme, c’est-à-dire un stade correspondant à un moment ultime de la civilisation libérale, ce libéralisme permettant et poussant la réalisation toujours plus spectaculaire mais toujours plus artificielle de la ville «moderne». On peut rester en retrait d’une lecture aussi politique, toujours est-il qu’on peut aussi constater que le développement de cette nouvelle phase urbanistique qui s’est singulièrement accélérée ces dernières années correspond à une phase de développement économique frénétique et à l’accès des économies moyennes orientales et asiatiques à un degré de puissance extraordinaire. L’hypothèse de la cité américaine, dévoreuse d’espace et de désert, est dépassée en spectacularité et en volume par les nouvelles grandes métropoles qui recomposent l’ordre urbain hérité de la ville européenne du 19e et du 20e siècle. On peut également y voir une redéfinition de la modernité, un déplacement des valeurs occidentales que l’on avait tendance à penser immuables. Une ville comme Dubai force à réévaluer l’accès à la ville, ses usages, et nécéssite un mode d’appréhension de la cité qui ne repose plus du tout sur le mode citoyen mais plutôt sur un mode usager, consommateur: carte bleue versus carte d’électeur. Le modèle de l’antique agora est bien mort, mais il faut avouer que les coups de boutoir du modèle US, du mall shop et des freeways avaient déjà bien amorcé le virage. Les villes du futur ne font que porter à leur comble un phénomène que la civilisation US de la seconde moitié du 20e siècle avait largement annoncé.

La position de l’artiste, des artistes face à ces phénomènes n’est évidemment pas indifférente et on assiste depuis quelques années à un regain d’intérêt pour l’architecture, l’urbanisme, le coté sculptural, pictural et tout simplement plastique de la ville et de sa destruction. Des artistes comme Raphaël Zarka ou Cyprien Gaillard en France, Lara Almarcegui en Espagne, Clemens von Wedemeyer en Allemagne prennent acte de ces mutations et en font le matériau même de leurs travaux. Forcément, les approches sont extrêmement divergentes entre un Cyprien Gaillard qui traque les ravages répétés à l’encontre de la modernité architecturale, les aberrations commises envers un ordre urbain synonyme d’une utopie enfouie et la référence poussée à la vanité qui anime le travail de Raphaël Zarka, mais on pourrait cependant retrouver des proximités certaines dans l’ébauche d’un romantisme conceptuel ou d’un conceptualisme néo romantique. L’approche de Lara Amarcegui est beaucoup plus combattante puisqu’elle entend intervenir sur le fonctionnement même des mécanismes de décision politique. Il est clair que des préoccupations d’ordre écologique ont aussi largement fait leur apparition, préoccupations présentes à la fois dans le travail de Lara ou de Cyprien, l’une sous sa version résolument pragmatique alors que l’autre ne fait que mettre en lumière (littéralement et spectaculairement) la mise en oeuvre de ces destructions à grande échelle. Ces phénomènes de destruction massive sont par ailleurs le sujet d’un film d’un jeune artiste chinois, Zenchen Liu qui a réalisé une vidéo, faite de l’accumulation de photos montrant les débris de l’ancienne ville et la dimension de destruction sociale parrallèle. Les accents romantiques d’un Zarka ou d’un Gaillard prennent chez le jeune chinois une dimension nettement dénonciatrice des méthodes de la nouvelle société chinoise. La reconstruction / déconstruction de la Chine est également pour Clemens von Wedemeyer un motif central d’inspiration qui l’amène à instituer des comparaisons formelles et métaphoriques avec le Metropolis de Fritz Lang ; dans d’autres oeuvres de Wedemeyer, c’est la lente désagrégation de la ville moderne, associée au projet moderniste, qui est au coeur de la problématique artistique.

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