ART | CRITIQUE

Dessins

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Cent aquarelles retracent le parcours de dix années de création. Les projets se succèdent au mur tandis qu’au centre de la pièce, des maquettes en verre sous cloche leur répondent. Cette rétrospective est l’occasion de présenter le projet vénitien de Jean-Michel Othoniel pour la collection Peggy Guggenheim.

L’exposition de Jean-Michel Othoniel ressemble à une rétrospective. Cent vingt dessins et seize sculptures miniatures retracent le parcours de l’orfèvre en projet public. Étalé sur les murs dix ans de projets, réalisés ou avortés, jouent des coudes et des épaules pour tracer un chemin riche en enseignement.
Au milieu de l’espace, des tables accueillent sous cloche des maquettes de verre. Entre les aquarelles qui serpentent la pièce et les bocaux translucides, placés en son centre, les arcanes de dix ans de création sont enfin révélés. Les ébauches, les déboires, les succès sont présentés côte à côte. La scénographie fonctionne très bien. Le voyage dans l’univers de l’artiste peut commencer.

Malgré le titre du premier dessin, Isthar aux enfers (2004), le parcours est loin d’être une descente aux enfers. Le plaisir se lie au contact des œuvres. L’utilisation récurrente du verre de Murano, place instantanément ces objets dans un entre-deux séduisant. Entre sculptures et joaillerie, les pièces de verre existent pour elles-mêmes.

Les étiquettes réductrices n’ont pas leur place ici. La qualité des productions résiste à toute classification simplificatrice. La force du travail permet d’embrasser tous les registres. Le foisonnement est une exigence. Le décoratif se mélange au sculptural, l’artistique à l’artisanal, et la littérature est une planche de salut autant que de dessin. La transformation des matériaux est érigée en principe tandis que la préciosité est préférée à la sécheresse, et que l’ascétisme est refusé au profit de la profusion.

L’auteur des Impressions d’Afrique, Raymond Roussel, l’inspirateur du Grand Verre de Duchamp, est souvent cité pour souligner le travail de Jean-Michel Othoniel. Pourtant, en regardant de près son travail, c’est spontanément à Huysmans que l’on pense. Le choix des mots, leur profusion, leur rareté en font des pierres précieuses ciselées par une écriture dense et lumineuse.
Le travail du verre de Murano résonne comme les plis d’une étoffe. L’écriture d’Othoniel se moque des supports mais en explore toutes les facettes, tous les voilages, tous les plissés. Capable de se transformer en brodeur, comme Zeus en gouttes d’or. Le voile de tulle de coton cousu au fil d’or de Rochefort de Pluie d’or (2002) en est un bon exemple. Ces transsubstantiations sont alchimiques, elles s’opèrent dans la matière même.

S’intéressant autant aux détails qu’aux parures, les bijoux deviennent des colliers de désillusions. Vanité de Vanité, les montures de verre soufflé sont des instruments de séduction doucereux, des outils de torture délicieux, clinquants et cinglants ils piquent comme des poignards le cœur des hommes. Véritables piège à loups, ils se transforment en attrape-cœurs, et provoquent des blessures assassines, causant des cicatrices intestines. Les titres des œuvres abondent dans ce sens, les œuvres ne sont que des Larmes de couleur, des Bateau de larmes ou encore des Cœur renversé.

L’exposition «Dessins» instaure un dialogue entre les esquisses à l’aquarelle et les maquettes en verre. Le souvenir des expositions précédentes permet de mesurer l’écart entre les intentions initiales et les réalisations finales. Les projets sans suites sont une source d’émerveillement et de déception. La découverte de ces travaux est un bonheur précédant une légère frustration.
Les cloches de verre emprisonnent de frêles ébauches colorées en pâte de verre. Pareilles à des aquariums, elles ressemblent à l’univers de l’artiste. Condensés d’imaginaire et de réel, elles donnent la pleine mesure de leur talent en contre-jour, quand elles sont baignées de la lumière du soir. C’est en fin de journée qu’elles tiennent le mieux leurs promesses.

Les travaux anciens permettent toutefois au futur projet vénitien d’apparaître. La collection Peggy Guggenheim décorera sa façade d’un collier géant. Pour cette fois les dessins-bilans laissent les croquis préparatoires s’aventurer dans l’anticipation. L’expérience n’est plus un souvenir à se remémorer, mais un futur proche à expérimenter. Pour aller voir ce projet, direction Venise !

English translation : Margot Ross
Traducciòn española : Santiago Borja

Jean-Michel Othoniel
— Bottle of Tears, 2005. Eau, verre. 51 x 37 x 34 cm.
— Sans titre, 2005. Perles en verre de Murano. 110 x 45 x 20 cm.
— Le Bateau de larmes, 2005. Aquarelle sur papier, encadrement. 32 x 40 cm.
— Candélabre, 2005. Verre de Murano, acier. 85 x 75 x 75 cm.
— Le Petit théâtre de Peau d’Ane (détail), 2005. Verre, bois, soie. 120 x 150 x 100 cm.
— La Couronne du coeur à l’envers, 2005. Dessin à l’aquarelle.
— Le Bateau de larmes, 2004. Vue de l’exposition à Art Unlimited Bâle 2005. Verre de Murano, bois, acier. 345 x 535 x 215 cm.
— Black is Beautiful, 2003. Perles en verre de Murano. 370 cm de haut.
— L’Arbre aux colliers, 2003. Verre de Murano. Installation permanente dans le jardin de sculptures Sidney Besthoff, New Orleans Museum of Modern Art.
— Lagrimas, 2002. Verre, eau, métal. 140 x 600 x 70 cm.
— Trésor fontaine, 1999. Verre de Murano. 30 x 70 x 40 cm.
— Le Collier infini, 1998. Verre de Murano, acier. 450 cm de haut.

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