Desniansky Raion de Cyprien Gaillard
«Il faut ruiner un palais pour en faire un objet d’intérêt.» (Denis Diderot, 1767)
Entre vandalisme et esthétique minimale, romantisme et Land Art, le travail de Cyprien Gaillard interroge la trace de l’homme dans la nature. Desniansky Raion (2007, 30’), la vidéo qu’il présente pour sa première exposition à la galerie, balance ainsi constamment entre chaos et ordre. Composée de trois parties, elle est introduite par le plan fixe d’un immeuble des années 70, monumental arc de triomphe marquant l’entrée de Belgrade.
Le premier volet de la vidéo montre une bagarre rangée entre deux bandes de hooligans sur le parking d’une cité de la banlieue de Saint-Pétersbourg, filmée depuis un immeuble avoisinant. Bleus contre rouges, certains gantés de blanc, les deux groupes s’avancent organisés, avant de se disloquer sous l’effet du choc, puis de se reconstituer pour un nouvel assaut. Évoquant une fresque médiévale ou une peinture de bataille, le déchaînement de violence, dans le même temps sauvage et codifié, révulse autant qu’il fascine.
Le deuxième tableau est un plan fixe de la façade d’une barre d’habitation en banlieue parisienne, sur laquelle se déroule un spectacle mêlant son, lumière et pyrotechnie. Cette mise en scène grandiose, habituellement réservée aux monuments historiques, s’achève abruptement par l’effondrement de l’immeuble.
La vision hypnotique de ce monolithe sublimé de mille feux avant d’être réduit en poussière résonne comme un enterrement en grande pompe des utopies architecturales modernistes.
Enfin, la dernière partie explore Desniansky Raion, quartier de la banlieue de Kiev, filmé sans autorisation de vol depuis un petit ULM qui tangue dangereusement au gré du vent, offrant une vision à la fois cinématographique et amateur des lieux. S’élevant dans un paysage neigeux et splénétique, la multitude austère d’immeubles d’habitation apparaît d’abord chaotique, avant que n’apparaisse un groupe de tours ordonnancées en un cercle parfait, rappelant le monument mégalithique de Stonehenge, en Angleterre.
Tournés illégalement ou acquis dans des filières parallèles, les trois volets de la vidéo témoignent d’une approche décomplexée des images et de leur statut. Partie intégrante de l’œuvre, la bande-son du musicien Koudlam, entre références classiques et sonorités contemporaines, ajoute au côté romantique de l’ensemble.
Dans une deuxième salle, Cyprien Gaillard présente des travaux de deux séries antérieures, pareillement iconoclastes et pointant certaines des sources d’inspiration de son travail. Dans chacune des cinq estampes de la série «Belief in the Age of Desbelief», une tour d’habitation est implantée dans une gravure hollandaise du XVIIème siècle, transformant ainsi les paysages de Rembrandt, Anthonie Waterloo et Jan Hackaert en autant de terrains à bâtir.
Enfin, une photographie de la série «Real Remnants of Fictive Wars» (Part 6) dévoile l’iconique Spiral Jetty de Robert Smithson envahie par un nuage de fumée. Pour réaliser les œuvres de Land Art éphémère de cette série, documentées par des films 35 mm et des photos, Cyprien Gaillard et des complices déclenchent, dans des paysages soigneusement choisis, des extincteurs industriels qui libèrent une épaisse poudre blanche, produisant un nuage vaporeux en même temps qu’une menace sourde. Il place ainsi le spectateur dans un entre-deux, d’abord séduit par la forme de l’œuvre avant de prendre conscience du geste qui a généré cette œuvre – acte de vandalisme qui ne trouve sa légitimation que dans le monde de l’art. De la sorte, Cyprien Gaillard reprend à son compte la notion d’entropie définie par Smithson, mouvement de transformation tendant irréversiblement vers le chaos.
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Anne-Lou Vicente sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Cyprien Gaillard, Desniansky Raion