Akram Khan
Desh
Un solo, ce n’est pas rien. Autoportrait, carte d’identité, mise au point, Adn artistique, confidence…, le solo, pas loin aussi parfois du monologue théâtral, est un livre ouvert et exige de la part de son créateur un taux élevé d’engagement et de transparence.
Il faut avoir envie de se mouiller pour relever le défi d’un solo, d’un vrai.
Akram Khan, dont la compagnie a été créée en2000, à Londres, en rêvait depuis longtemps. Les risques que ce type de projet représente le retenaient. Puis, il a foncé. Questions d’urgence, de temps qui passe et qui pousse, d’énergie à vif… Entouré d’une équipe de proches collaborateurs dont l’écrivain karthika nair, il a décidé de séjourner pendant quelques semaines au Bangladesh, le pays d’origine de ses parents –Akram Khan est né à Londres–, d’y collecter dans les villes comme à la campagne, images, sensations, histoires et témoignages. Ce socle de vie commune racontée dans un texte de Karthika Nair, est le cœur battant de Desh créé en 2011, à Londres. Desh troisième syllabe du nom Bangla-desh, signifie «terre».
«Je suis parti sur les traces de mon père et de sa mémoire personnelle, explique le chorégraphe. À travers l’évocation de la relation père-fils, j’avais envie de questionner la façon dont la mémoire se transmet ou pas. Lorsque j’étais adolescent, mon père s’est battu pour partager ses souvenirs avec moi. » Rébellion de la part d’un jeune homme dont l’environnement se situe à des années-lumière du Bangladesh; frustration et tristesse du côté du père. «Ma mémoire n’a rien à voir avec la sienne, ajoute Akram Khan. Ce n’est que récemment que j’ai eu envie de me confronter à son histoire –je suis allé dans son village– et à mes racines.»
Sur le plateau, Akram Khan, formidable danseur, a traduit en tourbillons de gestes électriques les multiples visions qu’il a engrangées lors de son voyage. Mains volubiles et vibrantes, jambes déliées toujours prêtes à sauter, chuter, rebondir… Les mouvements quotidiens des tisseurs avec leurs machines à filer rudimentaires, les attitudes des mendiants dans la rue, la simple beauté d’une immense roue d’osier qui tourne… ont soufflé un répertoire chorégraphique nourri de toutes les rencontres faites par le chorégraphe. Si le kathak, danse traditionnelle indienne dans laquelle Akram Khan est virtuose depuis l’enfance, innerve évidemment sa gestuelle, son écriture déborde toute étiquette, tirant des bords entre abstraction et narration sans jamais perdre sa nervosité profonde.
Desh concentre les atouts nombreux du danseur et chorégraphe en revenant à l’essence même de son besoin de danser. Akram Khan aime souligner sa relation profonde avec l’eau.
«Je suis fasciné par l’eau à l’intérieur de la terre, c’est le noyau dur de ma façon de penser et de bouger, confie-t-il. Il y a énormément d’eau et de terre au Bangladesh… J’ai eu envie d’explorer une histoire qui rassemble la tragédie et la comédie des vies dans ce pays.»
Akram Khan n’est pas tout à fait seul en scène. Les mots de Karthika Nair, le design visuel magique signé par Tim Yip, la musique de jocelyn Pook, enveloppent et portent l’élan d’un homme qui sait s’entourer et aime les rencontres.
Depuis 2000, au gré d’une quinzaine de spectacles qui ont fait connaître son nom dans le monde entier, Akram Khan a collaboré avec des écrivains comme Hanif Kureishi, le musicien Nitin Sawhney, le plasticien Anish Kapoor… Il a aussi conçu et interprété des duos avec Sidi Larbi Cherkaoui, Sylvie Guillem et Juliette Binoche. Désir d’en découdre encore et toujours, vitalité extrême et virtuosité sensible, l’alchimie Akram Khan ne cesse de se raffiner.
critique
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