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Des illusions

06 Mai - 07 Juin 2015
Vernissage le 06 Mai 2015

Un sentiment d’inquiétante étrangeté plane sur cette exposition. Les peintures de Caroline Gamon et les sculptures de Gretel Weyer génèrent une transfiguration du réel par l’imaginaire. Par le détachement ou le saisissement, les deux artistes parviennent à ouvrir des espaces narratifs où leurs imaginaires peuvent à la fois s’exprimer et se réfugier.

Caroline Gamon, Gretel Weyer
Des illusions

En 1925, l’historien et critique d’art allemand Franz Roh définit les contours d’un nouveau courant artistique: le réalisme magique. Il en énumère certains critères: «Des sujets sobres, l’objet clair, représentationnel, purement sévère, statique, calme, minutieux, vu de près et de loin, miniature, froid, une surface de fine peinture, lisse, un effacement du processus de peinture, centripète, la purification externe de l’objet.»

Les artistes inscrits dans ce courant brouillent les frontières du réel en y injectant des éléments oniriques, fantastiques, merveilleux ou surnaturels. Au milieu d’une scène quotidienne surgit un élément perturbateur ouvrant vers un nouveau territoire: inhabituel, fabuleux ou étrange.

Le réalisme magique est un espace entre-deux, entre le réel et la fiction, la vie et la mort, l’enfance et l’âge adulte, l’illusion et la désillusion. Un espace où les projections sont démultipliées: intimes, symboliques, philosophiques. Un espace inconfortable où les repères peuvent nous échapper. Ils sont détournés, dissimulés ou recontextualisés.

Les œuvres de Caroline Gamon et de Gretel Weyer contiennent un potentiel narratif indiscutable. Si les formes prennent racine dans le monde réel, leur manipulation les renvoie vers l’histoire de l’art, l’enfance, les contes et tous les imaginaires qu’ils enveloppent.

Au moyen de petits formats, Caroline Gamon répertorie des non-lieux: une cabane perdue dans la nature, une zone boisée, une usine désaffectée ou encore une maison vide. En associant différents univers (ville-nature sauvage, minimalisme des formes-grouillements, intérieur-extérieur), l’artiste opère à une réunion des esprits de Giorgio de Chirico, du Douanier Rousseau et d’Edward Hopper. Rien ne bouge, le temps semble arrêté, l’humain y est quasiment absent.

Les peintures-collages présentent des scènes situées juste avant, pendant ou bien juste après l’avènement d’un drame. Tout est dans l’évocation, dans l’intuition. Une série de peintures, aux formats plus généreux, trouve son origine dans les pages d’un conte philosophique: Max et les Fauves (Moacyr Scliar, 2009). L’histoire d’un juif allemand qui fuit le nazisme dans les années 1930 pour rejoindre la côte brésilienne. Son voyage est rythmé par des péripéties surnaturelles: un naufrage, une rencontre avec un jaguar, la folie et la réapparition de fantômes nazis. De la banalité jaillit une apparition, une figure ou bien un objet inattendu.

Gretel Weyer fouille les symboles et les objets de l’enfance. Les œuvres matérialisent les peurs, les fascinations et les rêveries qui structurent ce qui est communément appelé «l’âge tendre». Une tendresse que l’artiste vient fendre d’un malaise. L’innocence et la nostalgie laissent place au doute et à l’abandon. D’un seau s’échappent des crapauds, la fuite des princes charmants? Sur et autour d’un banc traînent des masques animaliers: un loup, un élan, un putois et un ours. Les animaux, attachés à l’imagerie du conte, sont à la fois séduisants et effrayants. Les masques semblent avoir été abandonnés, la scène indique la fin du jeu.

Sur des toiles de canevas, l’artiste brode des femmes endormies. Le sommeil se confond avec la mort. Elle travaille ainsi les notions de passages et de rituels auxquels les enfants sont confrontés de manière consciente ou inconsciente. L’humain et l’animal cohabitent de manière fragmentaire. La tête d’un garçonnet regarde le corps d’un oiseau mort. Des petites mains en céramique blanche sont introduites dans les gueules d’un loup, d’un ours, d’un cheval ou d’un cerf. A la lisière de deux mondes, elle fait dialoguer le danger et la bienveillance.

Un sentiment d’inquiétante étrangeté plane au-dessus de l’exposition où le temps est comme suspendu. Les peintures de Caroline Gamon et les sculptures de Gretel Weyer génèrent une transfiguration du réel par l’imaginaire. Par le détachement ou le saisissement, les deux artistes parviennent à ouvrir des espaces narratifs où les imaginaires (personnels et collectifs) peuvent à la fois s’exprimer et se réfugier.

Julie Crenn

Vernissage
Mercredi 6 mai 2015

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