Présentation
Patrice Blouin
Des Corps compétents (sportifs, artistes, burlesques)
Pour explorer les liens entre techniques de corps, techniques de représentation et techniques de connaissance, un certain nombre de pratiques artistiques contemporaines (performances, vidéos, etc.) sont revisitées par l’entremise d’une confrontation à d’autres disciplines, physiques et filmiques, sportives et burlesques.
Cet élargissement du champ d’investigation permet, en particulier, de moins interroger les techniques dans leur effectivité ordinaire qu’à partir de leurs moments décisifs: instants «t» de l’invention, ou de la soudaine obsolescence, points de bascule d’une incompétence en compétence, de l’illégalité à la légalité.
Pourquoi soulever aujourd’hui la question des compétences corporelles? Pour changer d’abord d’axe de lecture. Il est aisé, en effet, de constater que les débats que soulèvent la performance artistique, depuis quelques années, tournent principalement autour de son passé: «reenactment», «choses mortes», archives, etc.
Or, il nous a semblé intéressant de modifier, pour une fois, le sens de la coupe. Il ne s’agit plus ici d’interroger la performance de manière verticale mais horizontale, en convoquant non plus ses mânes mais ses «voisins de paliers»: les performances sportives et burlesques.
Avec les textes de: Patrice Blouin, Elie During, Eric Duyckaerts, Yan Duyvendak, Christophe Kihm, Arnaud Labelle-Rojoux.
Cet ouvrage est publié à l’occasion du festival et du colloque éponymes organisés avec la HEAD, Genève, à la Villa Arson (2012), et de l’exposition «Des Corps compétents (la modification)» (2013).
«Point commun aux grimaces modernes, leur caractère souvent inquiétant. La raison? La Raison justement!… La laideur physique qui impressionne ou dégoûte, et surtout l’étrangeté, aux confins de la folie, voire du danger.
C’est évidemment le cas de Messerschmidt, ce sculpteur allemand mort à moins de cinquante ans en 1783, dont la soixantaine de bustes le reproduisant grimaçant jusqu’à une déformation non réaliste, hors de toute convention du temps, fit sa gloire posthume en introduisant, non plus, comme ses prédécesseurs (Jérôme Bosch ou Quentin Metsys) une représentation des troubles mentaux mais leur expression même. La grimace est ici doublement transgressive: elle se rebelle, de fait, contre une certaine idée du «Beau idéal»; elle porte, surtout, la marque d’une exploration aventureuse, celle des recoins d’ombre de l’artiste, la traque du symptôme. On ne saurait donc l’assimiler à de la caricature: c’est une plongée du côté de l’horreur humaine à travers le champ de bataille qu’est le visage aux mille rides. […]
C’est en quelque sorte ce que poursuivra deux siècles après Messerschmidt, et comme lui à Vienne, Rainer avec sa série des Face-Farces, à partir d’autoportraits photographiques postulant la «valeur expressive des gestes schizophrènes, tel que faire des grimaces», autoportraits qu’il zèbre d’encre, griffe, macule de peinture. Ces agressions, meurtrissures, effacements, lacérations graphiques, Rainer les opère également sur d’autres: les bustes de Messerchmidt, des masques mortuaires, Matthias Grünewald, Vincent Van Gogh, Antonio Canova, etc.
Les procédés plastiques situent certes les œuvres du côté d’un expressionnisme gestuel, mais c’est le terme de «surgrimaces» — comme lui-même parle de «surpeintures» — qui leur conviendrait davantage; des «surgrimaces» borderline.»
Arnaud Labelle-Rojoux
Sommaire
— Avant-propos
— Yan Duyvendak chante Adieu pour un artiste
— Christophe Kihm. Problèmes de synchronisation
— Élie During. Les trois corps de l’animal sportif
— Patrice Blouin. Les sportifs aussi sont des images
— Arnaud Labelle-Rojoux. Grimaces, insultes, bras d’honneur
Éric duyckaerts. Et ça?
— Organisateurs/participants