Christophe Béranger, Jonathan Pranlas-Descours (Cie Sine Qua Non Art)
Des ailleurs sans lieux
Etrange polyphonie de corps respirants qui se révèlent, entre scansions, chuchotements, éclats de cris, perles de chant. Avec Des ailleurs sans lieux, Sine Qua Non Art explore la figure emblématique du trio à partir d’un point chorégraphique et dramaturgique central : le souffle et ses capacités rythmiques et vibratoires. La partition dansée est la même pour chacun des interprètes. Une danse à l’unisson qui porte en elle le décalage propre au vivant, et aménage l’espace imaginaire nécessaire au spectateur pour investir l’expérience physique, sensorielle et émotive qui lui est proposée. L’écriture chorégraphique est minimaliste : l’architecture des corps, les modes de résonances physiques du souffle dans les corps sont le seul alphabet de ce processus de création chorégraphique. Le geste artistique part ici des espaces intérieurs pour explorer les capacités sonores et rythmiques de la respiration du danseur. Chorégraphier la sensation pour laisser advenir une danse témoin des processus organiques empruntés par le souffle. L’air dans les corps emprunte des trajets multiples, situés dans des espaces, des ailleurs difficilement localisables, mais surgissant pourtant dans la réalité de l’ici et maintenant de la représentation. Les cordes vocales des trois danseurs font écho aux cordes d’un violoncelle invité à cet oratorio vibratoire : ensemble ils établissent leurs propres codes, entrent en dialogue. Surgit alors un paysage humain vif, tranchant, tendre, respirant sa révolte, sa jouissance, sa relation à l’autre. L’usage du souffle est poussé à ses extrêmes. L’ironie espiègle des danseurs vient soudain révéler la tragi-comédie à l’oeuvre : ça rit comme ça respire. Ca rit donc ça respire ? Légèreté grave du souffle, gravité légère du rire, cette danse se joue des codes chorégraphiques, les interpelle pour mieux s’en approprier l’héritage. Et pourtant, étrange expérience de l’altérité, du partage de l’intimité physiologique des interprètes, quand cette évocation de l’humanité respirante vient brusquement nous rappeler le souvenir de notre propre respiration. Et de l’usage que l’on en fait : on vit comme on respire.