Jean-Luc Verna
– Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? – Non
Lorsque Nina Hagen en concert prend la pose de la Petite danseuse de quatorze ans de Degas ou que Siouxsie, jouant du tambourin, fait écho à celles des nymphes de la Fontaine des Innocents de Jean Goujon, c’est sans le savoir. Jean-Luc Verna visionne attentivement ces concerts et recherche dans les catalogues et revues d’art les gestes qui rapprochent ces deux univers.
Tout son travail relève d’une pratique du mixage qui se nourrit du passé des arts plastiques et d’un présent musical. Il traque des congruences entre les poses de l’histoire de l’art et de la scène rock, il les reprend et les interprète lui-même. Cette appropriation et cette incarnation constituent un travail de synthèse qui repose sur l’addition de deux images pour en créer une troisième dont il est auteur et acteur. La reprise et l’hommage aux maîtres du passé sont récurrents en arts plastiques comme en musique. Dans ce domaine, Jean-Luc Verna a d’ailleurs enregistré un disque où il réinterprète des chansons de ses idoles. Le travail fait pour les photographies n’échappe pas au remploi, procédé qu’il utilise pour ses dessins, toujours faits à partir de matrices dessinées, photocopiées dans des tailles variables, transférées sur différents supports, puis rehaussées de fards. En jeans noirs et Gettagrip montantes, torse nu et juché sur un empilement de caisses, il enchaîne une série des poses de l’histoire de l’art et du rock pour I apologize , spectacle chorégraphié par Gisèle Vienne. La mise en scène, la danse et sa gestuelle relient à bien des égards ses différentes activités artistiques.
En prenant comme sources des figures vraisemblablement esquissées d’après le modèle vivant, Jean-Luc Verna renvoie en quelque sorte à une étape préparatoire à l’oeuvre elle-même. Il s’agit d’un processus à rebours, d’une mise à nu pour s’approcher du corps du modèle comme de celui du chanteur. […] Il retrace une généalogie prestigieuse, règles ses dettes, écrit sa propre histoire de l’art et du rock, déplace et réactive les personnages et leurs auteurs dans le champ de l’art contemporain. Il rend hommage en même temps qu’il crée un répertoire de poses possibles et des passerelles entre deux domaines artistiques et historiques différents. Comme pour ses dessins, il greffe deux théâtralités distinctes qu’il fait se rencontrer au-delà du temps en les incarnant. Cette fusion improbable prend corps par la photographie, médium qui a sa propre histoire. […]
S’il est avant tout dessinateur, les photographies des poses de l’histoire de l’art et du rock de Jean-Luc Verna font partie du même ballet que les anges, les fantômes, les spectres ou les fées dont il chorégraphie aux murs solo, duos et trios. Ces images qui relèvent de l’érudition et de la culture populaire, de l’ancien et du moderne, constituent un monde fantastique forgé d’univers disparates mis en cohérence.
Claude-Hubert Tatot