Émilie Brout et Maxime Marion
Dérives
Face à une Å“uvre comme Dérives d’Émilie Brout et Maxime Marion, on aura le droit de se sentir un peu submergé. Deux milles séquences, tirées de toute l’histoire cinématographique, sont montées les unes après les autres par une machine qui en génère sans fin un film: un seul, un film infini.
Ce film aura comme personnage principal l’image de l’eau. À part une éventuelle coupure de courant, le film ne s’arrête jamais, préférant plutôt ralentir — voire stagner —, avec des images d’étangs, de flaques ou de verres d’eau, avant de reprendre à travers des larmes ou de la bruine qui mèneront inévitablement à des averses suivies de tempêtes, d’attaques de requins et de tsunamis, pour se ralentir de nouveau dans un petit ruisseau d’images calmes avant de repartir encore pour un tour. C’est un flux permanent, incessant, qui monte, descend et remonte de nouveau; un film sans fin qui est toujours le même — un film sur l’eau — qui ne pourrait jamais être le même: un film-fluide sorti tout droit des Fragments d’Héraclite.
Dérives n’a pas de durée dans son sens cinématographique classique, c’est-à -dire un temps délimité par un début et une fin du support. Néanmoins, et comme dans n’importe quel film d’ailleurs, une autre durée finit par émerger de l’image: c’est la durée générée par la conscience du spectateur. Comme un verre d’eau sucrée bergsonien (ici tenu par Mia Farrow ou Emily Watson) qui prend son temps pour se mélanger, chacun boit ces images à sa manière comme une destinée qui nous serait propre.
Dérives est cette scène particulière, chacun apercevant son propre moment devant le flux et le reflux d’une image générée, là , en temps réel devant nous et pour nous, mais qui ne s’arrête pas pour nous non plus.
En suivant le mouvement de l’algorithme nous arrivons à parfaitement percevoir les transitions logiques d’une séquence à l’autre, à comprendre même ces critères qui les lient, sans pour autant pouvoir arrêter le tout et voir toutes les interactions dans une unité rationnelle. Notre conscience rentre et sort de ce flux alors que le flux et le reflux de cette image perdure très objectivement dans sa propre logique et dans sa propre temporalité. Une mise en scène, algorithmique cette fois-ci, de la montée en vague des images et de l’image. Une image vague.
Douglas Edric Stanley