Farah Atassi, Stéphanie Cherpin
Derelict
L’exposition «Derelict» réunit dans un face-à -face inédit Farah Atassi et Stéphanie Cherpin. Si leurs pratiques s’inscrivent dans des champs distincts – la peinture et la sculpture –, toutes deux sont mues par un intérêt commun pour les ruines d’une certaine modernité. Ce dialogue – plus qu’une confrontation – tient avant tout de la volonté de faire surgir des affinités plastiques et thématiques et, plus largement, d’indexer un ensemble de préoccupations qui traversent les œuvres d’une jeune génération dont elles sont représentatives.
Les peintures de Farah Atassi procèdent d’une démarche quasi obsessionnelle.
Depuis 2007, elle ne cesse de peindre des vues d’espaces de vie collectifs désertés, inspirées d’un corpus d’ouvrages d’architecture et de photographie qui renvoient le plus souvent au monde industriel des «Trente Glorieuses».
Ses œuvres sont construites pour la plupart selon un dispositif scénique fortement scandé par des lignes de fuite. Elles nous entraînent dans la contemplation d’espaces – cuisines communautaires, chambres de bonnes, bureaux, vestiaires – exempts de toute présence humaine qui réveillent en nous un sentiment d’étrangeté. Elles se réfèrent notamment à des éléments de mobiliers, à des vestiges de canalisation, à des installations électriques, évoquant une occupation d’autan. Tous viennent structurer l’espace et agissent comme autant de signes d’un «display» artistique faisant aussi bien référence au monde de l’atelier qu’au champ de l’installation. Cette structuration est une donnée fondamentale du travail de Farah Atassi.
L’harmonie chromatique – qu’elle provienne d’une teinte monochrome dominante, d’un camaïeu ou d’un contraste clair-obscur –, les trames orthogonales appuyées des parements de carrelage, tout comme la présence judicieuse de motifs colorés posés ça et là , jouent d’un processus ambivalent qui, dans un même geste, structure et creuse l’espace tout en affirmant sa bidimensionnalité.
De même, l’attention portée au traitement de la matière picturale, les épaisseurs et les multiples repentirs, sont autant d’éléments qui achèvent la construction et le maçonnage du plan.
C’est à la périphérie des villes, dans des no man’s land chaotiques et gigantesques, mais aussi dans ces vastes territoires d’exploration et d’émerveillement que sont les zones commerciales et industrielles suburbaines, que Stéphanie Cherpin glane les objets mis au rebut et les matériaux désactivés, pour la plupart de construction, qui composent ses sculptures. Parmi eux, pêle-mêle, des fers à béton, des treillis métalliques, des plaques de métal, des chaînés, des fragments de stores, des traverses de bois, des blocs de pierres et encore bien d’autres choses. Sans idées et projets préconçus, Stéphanie Cherpin se coltine à la matière, découpe, assemble, combine ce fatras qu’elle réactive dans de nouvelles configurations hybrides.
Sans pour autant verser dans l’expressionnisme, ces sculptures frappent par leur brutalité toute en tension et en énergie. Elles font échos aux accords d’une «play list» de rock anglais et américain des années 80/90, que l’artiste écoute en boucle en travaillant. Ce rituel, à l’instar d’une danse guerrière, lui permet de rentrer dans le processus de création, tout comme il guide ses gestes et influe sur les formes produites. Ses sculptures, à la présence physique très affirmée, participent d’un double mouvement. Parfois concentrées, parfois expansives, telles des carcasses désarticulées abandonnées ou échouées, elles se déploient dans l’espace qu’elles envahissent au point de l’obstruer. La peinture qui recouvre certaines d’entre elles participe moins d’une volonté d’embellissement, qu’elle n’efface l’éclectisme des matériaux pour les unifier en un tout cohérent.
Les sculptures de Stéphanie Cherpin sont intimement liées aux espaces décatis peints par Farah Atassi. Elles apparaissent comme autant de conglomérats de matériaux et d’objets extraits des bâtiments désaffectés avant destruction. Mais, au-delà des analogies formelles et esthétiques de leurs œuvres, toutes deux nous questionnent sur les paradigmes d’une pensée moderniste et les comportements générés par une société industrielle. Là où d’autres artistes de leur génération abordent ces problématiques à travers le prisme de la photographie et de la vidéo, Farah Agassi et Stéphanie Cherpin restent attachées à une production d’atelier dont le «fait main» renvoie, dans une certaine mesure, à la représentation du travail ouvrier.