La nouvelle exposition d’Eric Baudart, galerie Chez Valentin, ne se rend pas immédiatement cohérente au regard. Vidéos, photographies, objets, tous datés de 2005, ne possèdent pas entre eux de ressemblance évidente, si ce n’est la tonalité générale de l’accrochage, une dominante blanc-bleuté-gris, son caractère épuré, bien léché, qui nous rappelle d’emblée que nous nous tenons dans l’espace clos, aseptisé, artificiel de la galerie. Assurément, nous sommes au milieu d’un monde d’images et il faut en démêler l’intelligence.
Au centre de la salle, Cubikron, un cube entièrement réalisé en spaghettis qui s’entrecroisent horizontalement et verticalement. Très vite, on comprend que ce cube sert de modèle de compréhension à l’exposition tout entière : les œuvres tendent entre elles des lignes, comme les spaghettis, aux intersections multiples.
Ce cube est une prouesse de précision et de patience. On pense à certaines œuvres obsessionnelles propres à l’art brut, tels les châteaux forts en allumettes. Mais dans son impeccable présentoir de verre, le cube semble supplanter aussi bien une antiquité chinoise de grande rareté que le dernier téléphone portable high-tech. L’artiste avoue d’ailleurs que sa première intention était de représenter un microprocesseur ou encore de faire l’équivalent en 3D du papier millimétré.
Les associations d’images qui se constituent ainsi confirment, comme l’apparence formelle de l’œuvre, qu’il s’agit bien de la logique du réseau. Le titre de l’exposition, «Density is not real», abonde en ce sens : l’objet n’a pas de réalité propre, autonome ; au contraire, il se rend transparent aux autres réalités avec lesquelles il se tient en relation permanente.
Pourtant ce cube en spaghettis ne laisse d’être absurde et déroutant (comme peut l’être d’ailleurs la haute technologie, d’autant plus superflue qu’elle est performante). Rien n’est plus bébête que des pâtes alimentaires, tandis que le cube tire ses lettres de noblesse de l’usage qu’en a fait l’art minimal.
On est donc bien en présence d’une image devant laquelle il faut réapprendre à se poser des questions élémentaires : que voit-on? de quoi nous parle-t-on? La réponse n’est pas univoque, l’œuvre se tenant à une intersection de références. L’art minimal et l’allusion au white cube conduisent directement à Six Fingers On, baguettes de bois peint superposées le long du mur d’entrée de la galerie. Récriture de l’architecture, elles relèvent à la fois du specific object et du déictique qui invite le regard à entrer en jeu.
Le high-tech, quant à lui, est présent dans Pump. Vidéo de moins d’une minute, elle montre, en boucle, un appareil photo numérique dont l’objectif se rétracte soudain automatiquement. L’action est anodine, un peu comique avec cet objectif nez contre table. Elle hypnotise un moment sans qu’il y ait justement d’autre sens que cette obligation faite au regard de s’arrêter.
La seule invitation au regard définit également Rowing Video, court extrait d’un générique de fin de publicités de M6, où l’on voit des barques s’avancer puis, par un effet de boucle, reculer. La vidéo est littéralement insignifiante : elle montre la possibilité d’une visualité pure, qu’on ne doit pas nécessairement percevoir comme absurde.
Mais Pump possède aussi cette beauté précise qui est l’apanage d’une certaine photographie, celle des années 1930 et de Man Ray en particulier : l’appareil, posé sur l’ombre lumineuse d’un objet de verre ou de cristal, dessine à son tour une ombre nette sur un coin de table lui-même surexposé. On aurait tort de ne pas évoquer les rayogrammes, traces fantomatiques d’objets très concrets.
Toute l’exposition finalement se préoccupe de l’absence et de la présence des choses à travers l’image. L’image est-elle fidèle à l’objet réel? Invente-t-elle un objet nouveau? Est-elle si transparente qu’elle perd toute signification propre? La Chapelle au caoutchouc est un cibachrome simplement punaisé au mur par le haut, au centre : les deux coins supérieurs de la feuille s’enroulent spontanément, faisant de la photographie un objet concret. Son motif, le fameux caoutchouc, se détache d’autant mieux sur le fond blanc de la feuille, flottant de son existence virtuelle.
Les images n’existent que dans leur pure réalité d’images, si ténue soit-elle. Tandis que les objets qu’elles présentent, s’ils se passent de leur référent premier, vivent de leur capacité à être mis en relation entre eux.
Dust Trek one et Swift prolongent une exploration technique déjà entreprise par Baudart, le scannage et l’agrandissement de micro-objets. La haute précision de la technique accroît le relief des plumes, insectes, poussières, cheveux et autres trésors de balayage. On ne saurait observer plus grande fidélité à la réalité de départ : plus qu’une image, un équivalent. Ces poils, un peu dégoûtants, comme les photographies en gros plans de Jacques-André Boiffard dans la célèbre revue surréaliste Documents, ont une matérialité visuelle qui se passe totalement du référent réel. Ils ont gagné leur propre espace d’existence, comme les mouches sur les tableaux du XVe siècle, une pure existence optique.
Eric Baudart
— Cubikron, 2005. Installation. Pâtes alimentaires, verre. Cube : 23 x 23 x 19 cm, structure : 45 x 45 x 150 cm.
— Rowing video, 2005. Installation vidéo. 6 secondes. Dimensions variables.
— Pump, 2005. Installation vidéo. 56 secondes. Dimensions variables.
— Six fingers on, 2005. Bois peint, enduit. 600 x 148 cm.
— La chapelle au caoutchouc, 2005. Cibachrome. 200 x 126 cm.
— Dust trek one, 2005. Photographie couleur sous diasec. chassis métal. 213 x 182 cm.
— Swift, 2005. Photographie couleur sous diasec. chassis métal. 126 x 100 cm.