Denis Savary
Denis Savary
Sculpteur, vidéaste, photographe, dessinateur mais aussi curator, collectionneur, érudit de l’histoire de l’art, Denis Savary vient perturber toute volonté de catégorisation et de classification. Si les techniques sont diverses c’est que l’artiste s’en amuse. L’art est un espace de jeu mouvant, où l’outil est source d’émerveillement. En résulte une économie de moyens qui se retrouve plastiquement dans toutes ses oeuvres: simple feuille blanche (A4/80gr) et crayon de bois, caméra standard, chutes de bois récupérées, bouts de ficelle ou assiettes en porcelaine… tout est transformable, tout est prétexte à création.
«Le rire, c’est du mécanique plaqué sur du vivant». La célèbre phrase de Bergson semble résumer l’univers humoristique qui marque la quasi-totalité des oeuvres de Denis Savary. Face à ses oeuvres, le spectateur se rit de l’incongruité des scènes, du grotesque des personnages.
Pourtant rien de spectaculaire dans l’univers de Denis Savary. Les vidéos: des paysages en plan fixe et des personnages réduits à une action unique en temps réel. Les dessins: quelques traits précis au centre de la feuille. Tout paraît familier et pourtant tout devient incongru comme si l’économie de moyens devenait source d’une expectative toujours déçue. Le rire, rempart à une angoisse latente, tangible, glisse le spectateur vers l’inquiétante étrangeté.
Placer le spectateur en tension, et plus exactement en suspension est au coeur du travail de Savary. Apparitions fantomatiques, présents dans un espace-temps qui serait celui de l’entre-deux, les motifs flottent. Tels des collages, les paysages sans repères et les personnages maladroits tentent de s’accorder sans jamais y parvenir totalement. Aucune force individuelle ne se dégage, les scénettes plus ou moins anecdotiques se cumulent comme autant de captures de bouts de réel.
C’est en ce sens qu’il faut entendre les oeuvres signées à quatre mains, l’interprétation des travaux de Kokoschka ou Valloton, le travail curatorial. Denis Savary a conscience du bagage culturel qu’il porte avec lui et malgré lui. Il en fait donc son parti et l’exploite, s’intéressant aux histoires des lieux qu’il côtoie au gré de ses expositions, abolissant les hiérarchies dans les personnages sur lesquels il se penche. La question de la mémoire, loin d’être celle du devoir de mémoire, est présente par le questionnement de l’après, de l’héritage aussi.
Le corpus d’oeuvres devient ainsi une sorte de banque d’images dans laquelle le spectateur est invité à déambuler. A l’instar des pensées situationnistes, la question d’auteur s’efface pour se fondre dans une mémoire de l’inconscient collectif. Les images de Denis Savary s’attardent sur un détail, sur une interprétation et parlent donc précisément du monde contemporain dans lequel il s’inscrit. Plus que le médium employé, c’est la condition de l’homme contemporain dans son caractère absurde qui transparaît dans l’inventaire de situation que l’artiste soumet à notre regard.
La chosification ancre le travail de Denis Savary où les éléments de réalité sont capturés pour rendre compte du réel.
Rien de stupéfiant dans les films de Denis Savary qui s’évertue à mettre en lumière des situations qui semblent comme des apparitions, quelque peu fantomatiques, étranges, intrigantes où l’humain tente de s’intégrer au paysage, de prendre maladroitement place comme dans Rumine où l’habit du dormeur reprend le motif des marches sur lesquelles il se trouve. Dans La Diane ce sont les musiciens, cantonnés dans l’espace de la camionnette, qui jouent inlassablement le même morceau appelant à la fête des lieux sans vie apparente.
A l’image des oeuvres d’Edison ou des Frères Lumières, dans ses films pour la plupart de courtes durées, Denis Savary refuse l’utilisation du montage, se bornant à l’emploi du plan séquence pour filmer les faits réels. L’oeil enregistreur de la caméra semble toutefois outrepasser sa fonction pour laisser place à un regard particulier, à une atmosphère pouvant devenir abstraite, picturale tels Quiberon, Manches à air ou Medina
par exemple.