ART | CRITIQUE

Delphine Coindet

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Des objets factices qui tiennent plus d’un vaste chantier virtuel que du monde réel. Delphine Coindet affiche une certaine désinvolture devant la sculpture, interrogeant ses mythes, contredisant ses forces, jouant de ses qualités, pour lui redonner une actualité à l’aune de ses recherches plastiques.

Ce Monde-là n’est pas le nôtre. Les sculptures qui le peuplent sont les témoins sans parole d’un univers aux fondations solides à la fois tangibles et étrangement détachées de la réalité.
Delphine Coindet présente chez Michel Rein cinq objets à l’identité trouble, cinq objets qui affichent une radicalité rendant perplexe tout autant le spectateur que l’espace qui les abrite.

Cette dichotomie tient dans la simplicité des formes : un ballon rouge arrimé et posé sur un socle gris (Red Ball), un demi-cercle sorte de sofa au design avant-gardiste mélangeant le matériau dur de la structure au tissu mou (Soft jaune) ou encore des quadrilatères engoncés dans des objets plus souples et plus ronds (Vénus, Scraper). Il y a du Claes Oldenburg dans la démesure et le décalage de ces sculptures, du Sylvie Fleury dans leur sensualité latente. Elles défendent toutes une identité forte, une indépendance effrénée par ailleurs mises à mal par l’accident de leur rencontre.

Appliquées à servir le principe newtonien de l’attraction terrestre, les sculptures de Coindet ont a priori une relation exemplaire au monde réel. Stabilité malgré l’opposition des masses, rigidité non feinte : Delphine Coindet tire l’essence de ces sculptures dans la noblesse des modèles classiques et dans le dogmatisme des objets prototypes. Ici, l’élégance convoite les couleurs pop très franches, la sensualité des lignes s’emparent du trait minimaliste. Cette double appartenance sert l’observation que Coindet pose sur l’œuvre d’art. Mieux, elle en est la clé de voûte.
Car si l’artiste affiche une certaine désinvolture devant la sculpture, interrogeant ses mythes, contredisant ses forces, jouant de ses qualités, c’est parce qu’elle y voit l’occasion de lui redonner une actualité à l’aune de ses recherches plastiques.

Les cinq pièces de l’exposition ainsi que la plupart des œuvres signées de Coindet répondent toutes du même procédé : elles sont préalablement dessinées par l’artiste avant d’être transformées par les trames d’un logiciel de modélisation 3D. Elles se livrent au final entre les mains de l’artisan qui en donne une version définitive. Le résultat : des objets factices qui tiennent plus d’un vaste chantier virtuel que du monde réel.

Ce Monde-là n’est décidemment pas le nôtre. La présence des sculptures dans l’environnement aseptisé et quasi lunaire du lieu d’exposition leur confère l’apparence d’objets échoués à sec, d’une certaine manière inapte à subir toute forme de confrontation. Un monde fait d’équilibres et de déséquilibres, de pleins et d’absences, de rondeurs et d’arrêtes. Un monde que l’on survole et dans lequel on apprivoise tout autant les objets que les vides qui les retiennent.
L’expérience d’une exposition de Delphine Coindet est une sensation neuve : le spectateur n’y est convié que par hasard. Il en résulte l’impression d’une inadaptation constante à l’espace et le sentiment, plus jouissif celui-là, de découvrir à pas comptés un environnement inexploré.

Invités par Delphine Coindet, Nadine Christensen et Andy Alexander prennent place dans le petit espace voisin.
La peinture lisse de Christensen produit un réalisme que l’architecture de structures rangées tels que la cabane et les troncs de bois vient modifier : ces amoncellements de matériaux occupent tout l’espace de la toile jusqu’à apparaître comme de véritables sculptures en devenir.
Les deux sculptures d’Andy Alexander posées au sol s’accommodent tout aussi bien du voisinage de Coindet. Ces œuvres de format modeste, mixant le socle en verre et la couverture cartonnée des livres de poche, sont à la croisée des chemins, entre un panégyrique de la culture underground américaine et un regard amusé mais tout autant respectueux sur l’histoire de l’art conceptuel.

Delphine Coindet
— Scraper, 2003. Métal laqué, bois, slastic. 168 x 79 x 71 cm.
— Vénus, 2003. Métal laqué, mousse, fourrure acrylique. 58 x 93 cm.
— Red Ball, 2003. Ballon gonflable, plâtre peint. Ballon : 65 cm de diamètre, plâtre peint : 54 x 44 cm de diamètre.
— Soft jaune, 2003. Mélamine, mousse, skaï. 76 cm x 69 cm x 136,5 cm.

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