Si nous connaissons surtout Franck Perrin pour avoir été à l’origine du magazine culturel Crash — mais aussi pour ses participation à Blocnotes à la fin du siècle dernier (déjà !) —, ses séries photographiques révèlent une autre de ses facettes. Fidèle à lui-même et à ce qui a fait l’originalité sa pratique de la critique d’art, ses photographies présentées à la galerie Jousse Entreprise dévoilent son attachement à l’analyse de notre contemporanéité.
Dans la série des « Joggers », Franck Perrin photographie des individus s’adonnant à cette pratique sportive éminemment urbaine. Pour lutter contre les effets de la sédentarisation, de la Junk Food et du vieillissement, les citadins des grandes métropoles occidentales se sont mis à ce sport, troquant leurs costumes contre un accoutrement du plus grand mauvais goût : le jogging.
Tôt le matin et tout le week-end, des hordes de (plus ou moins) jeunes cadres dégoulinant de sueur et tout de fluo vêtus, se sont mis à envahir les allées de nos parcs. Courant vers rien, ces promeneurs de la performance ont remplacé la flânerie chère à Baudelaire par un déplacement physiquement rentable.
Signe de la période des années 1980 et du Golden Boy roi si bien décrite par Bret Easton Ellis dans American Psycho, cette attitude continue à faire des émules : les survivants du siècle et de l’effondrement du Nasdaq.
Le jogging s’est joué dès son origine comme tragédie (du capitalisme) et comme farce (vestimentaire). Mais il s’agit aussi d’une réelle Internationale des Joggers où chacun court dans la même direction (« un intellectuel assis est moins utile qu’un idiot qui marche », aurait dit Mao!) vers des lendemains qui transpirent (« un trader assis est plus rentable qu’un trader qui court » auraient dit les fonds de placement américains).
Les podiums des défilés de mode ont cessé d’intéresser les ados qui délaissent la fascination de leurs aînés pour des Kate Moss et autres Eva Herzegava, et qui rêvent de devenir les élus d’un télé-crochet télévisuel. Mais la figure du top model reste l’icône des années 1990, et c’est cette obsolescence que questionne Franck Perrin avec la série « Défilés ».
Un homme ou une femme marche au milieu d’une salle plongée dans l’obscurité. Ce ne sont pas des acteurs, seulement des porte-manteaux vivants qui font des allers-retours sur le Catwalk comme des lions en cage observés avec minutie par une faune d’yeux attentifs.
Il y a aussi les flash qui crépitent participant à l’ambiance propre à ce genre d’évènement que retrace si bien Robert Altman dans son film Prêt-à -porter. Mais ce n’est pas ce qui transparaît des images de Franck Perrin. Ici, le modèle semble perdu au centre d’un grand espace accentué par le format des photographies. Pas de concession au glamour habituel dans ce sujet, mais une errance d’individus évoluant, là aussi sans but réel.
Le sentiment de perte se fait alors jour, celui du top model perdu dans l’arène du défilé mais aussi celui du spectateur des photographies de Franck Perrin qui ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive.