Le passé de Roman Opalska — la naissance en France dans une famille modeste de mineurs polonais, le retour en Pologne, la Seconde Guerre mondiale passée en Allemagne, ensuite le séjour de quatorze mois en France (1945-1946), et enfin l’installation en Pologne, devenue pays communiste —, a contribué à forger une personnalité forte, indépendante et fière.
Trilingue, il gardera toujours un léger accent dans les trois langues: français, polonais et allemand. Ceci a provoqué une situation délicate durant ses études en Pologne à l’époque du stalinisme, où il fut considéré presque comme un étranger. Dans cet univers productiviste, l’art et la culture étaient devenus une sorte d’asile pour cet homme de sensibilité aiguisée par de mauvais souvenirs de la guerre passée dans un camp, dont il refusera toujours de parler.
Roman Opalska a débuté sa carrière artistique à la fin des années 1950. Très vite, il a rencontré un grand succès en tant que graveur et remporté de nombreux prix, tant en Pologne qu’à l’étranger. Non satisfait de son poste de chef décorateur auprès de l’Armée polonaise, il traça sa propre voie dans l’art en cherchant à redéfinir les notions du modernisme et de l’avant-garde en peinture.
Le cycle de Chronomes (1962-1963), peint dans des tons grisâtres couverts harmonieusement par des traces régulières d’un grand pinceau, est inspiré par la pensée uniste de Wladyslaw Strzeminski (1893-1952), grand peintre d’avant-garde polonaise, selon laquelle chaque centimètre carré du tableau a la même valeur artistique. Les toiles de cette série sont une première approche de l’idée du «temps réversible». Mais, Roman Opalska chercha à construire un projet autour de la notion du temps irréversible.
L’idée des tableaux composés de nombres consécutifs est venue à Roman Opalska lors d’un après-midi d’avril 1965 à Varsovie. En attendant sa femme dans un café du quartier historique de la ville, il a commencé à aligner des chiffres pour passer le temps. Il venait d’ouvrir sa voie, de commencer à réaliser ses Détails.
Son premier tableau de nombres, aujourd’hui propriété du Musée Sztuki de Lodz, Roman Opalka l’a peint en 1965. Et son dernier va, selon sa volonté, rejoindre bientôt la collection du même musée.
A partir de 1965 Roman Opalka commence donc à peindre, au moyen d’un pinceau n° 0 et de peinture blanche, des nombres en commençant par le 1 en haut à gauche de la toile et en continuant vers le bas. Au dernier nombre posé en bas à droite succède le suivant tracé en haut à gauche de la toile suivante. Chacune des toiles est à la fois un tableau et un «détail» de l’ensemble du programme. En outre, au début des années 1970, Roman Opalka commença à enregistrer sa voix en comptant en polonais.
Il a vécu en France depuis 1976, tout en retournant régulièrement dans le pays de ses parents. Mondialement connu, il fut considéré comme un artiste proche du conceptualisme. «Octogone», sa dernière grande exposition en France a été organisée par le Musée d’art moderne de Saint-Etienne en 2006.