Concise, éloquente, un brin impertinente : l’exposition ressemble à la visite qu’en fait son commissaire. Une sélection de pièces historiques aux côtés d’autres plus contemporaines, et ce à propos d’un discours bien mené. Rien à craindre du préfet qui lui reprocha son titre anglophone. Lui préfère-t-il l’alambiqué Principe du continuum et autres investigations de la notion d’événement, qui vient teinter le sérieux de l’invitation d’une touche dandy? Le jeune parisien essaiera devant vous de se tenir à un plan en trois parties : le continuum, la notion d’événement et l’impalpable «Dead air».
Un comportement analytique contre un autre, qui partage l’histoire de l’art en mouvements, mais qui a perdu son sens dynamique pour diviser le temps et les pratiques en pensées successives, ou opposées.
En premier lieu donc, un principe de continuité, emprunté à John Cage pour son ouverture à toutes les valeurs. Une esthétique zen d’interpénétration des pôles. C’est sous le signe du renversement que la Porte de Karina Bisch vous invite à entrer dans l’exposition. La pièce est retournée, son verso présentant une architecture à la fois moderniste et vernaculaire. L’audace d’une autre présentation prépare une lecture renouvelée. John Cage lui-même disait «trouver» les sons. Il n’inventait que le moyen de les produire par hasard.
Le continuum n’exclut donc pas l’événement. Trois pièces sont réunies pour le démontrer. Le grand miroir brisé de Heimo Zobernig reflète un Violon brûlé d’Arman, satellisé au plafond, ainsi qu’un Bouquet perpétuel de Joachim Mogarra, posé au sol. Trois temporalités, trois relations à la contingence.
Aussi n’est-il pas étonnant d’apprendre que John Cage détestait enregistrer sa musique. «Dead air» est un phénomène radiophonique d’extinction des appareils d’enregistrement en l’absence de signal sonore. Julien Fronsacq raconte que la BBC a dû modifier ses outils quand elle entreprit de pérenniser sa performance silencieuse de 4’33’’, pendant laquelle un orchestre symphonique ne joue pas. Une œuvre d’art est un objet dont la singularité résiste à la compréhension qui circonscrit le monde à nos yeux.
Au contraire, cette exposition ouvre notre interprétation. Ainsi le parcours santé des Énoncés performatifs de Victor Burgin, qui focalisent sur nos mécanismes analytiques. «1. Toutes les choses matérielles qui constituent cette pièce. 2. Toute la durée de 1.» : une tautologie proche des Équilibres de Fischli et Weiss, agencements précaires d’objets triviaux illustrant le «phénomène de levier» dont parle notre commissaire. Le Ying et le Yang, un réflexe pour élargir notre lecture des pratiques artistiques, entre autres.
Ouverture qui révèle le travail d’artistes qu’on croyait à l’écart du monde. On Kawara isolé, occupé à peindre la date du jour pour sa Today Series ? C’est sans compter la boîte que ferme chacune de ses toiles, contenant une coupure de presse quotidienne. Une synthèse ennuyeuse, mais qui montre comme sa pratique est dans le monde.
Les Furniture sculptures de John Armleder, systématiquement vouées au hiatus entre deux objets de registres différents? Et si l’on préférait voir en la juxtaposition d’antennes TV et d’une toile abstraite, la tentative des unes à parasiter l’autre… ou à l’alimenter ?
Même geste de réévaluation chez Jeremy Deller(The Uses of Literacy) qui s’oppose à l’attitude occidentale valorisant une chose aux dépens d’une autre, en demandant à quelques fans de produire une pièce exprimant leur dévotion : du portait à l’aquarelle au geste quasi anthropologique de rassembler les ouvrages d’où sont tirées les citations du groupe !
A l’invitation du Frac, Julien Fronsacq a répondu sans déférence à l’égard des pièces majeures qui en composent la collection. Il a travaillé, avec un plaisir palpable, à les sauver d’une linéarité historique binaire pour les relire au sein d’une globalité plus ronde et sonore, sous la figure tutélaire d’un John Cage plus contemporain que jamais.
Karina Bisch
—  La Porte, 2008. Bois, acrylique sur contreplaqué. 525 x 462 x 14 cm.
Edward Weston
—  Mr and Mrs Fry of Texas, 1941. Photographie noir et blanc. 24,2 x 19,2 cm.
On Kawara
—  Feb.6, 1982 de la série Today Series, 6 février 1982. Liquitex sur toile. 47,5 x 63 x 5,5 cm. Boîte en carton contenant une page du New York Post du 6 février 1982.
John M Armleder
—  Furniture Sculpture n°186, 1988. Acrylique sur toile, antennes TV. 4 ensembles identiques constitués chacun d’une peinture et de deux antennes TV. Acrylique : 300 x 190,5 cm. Antenne : 49 x 180 x 64 cm. Dimensions totales variables.
Jeremy Deller
—  The Uses of Literacy, 1997. Peintures, dessins, collages, photographies, livres. Dimensions variables.
Rosemary Trockel
—  Leben heißt Strumphosen stricken (Tricoter des collants c’est vivre), 1998. Photographie couleur, 17 photographies et photocopies noir et blanc, cartes postales, oeufs peints. 12 x 86 x 132 cm.
Peter Fischli & David Weiss
—  The Outlaws et Sans titre de la série Equilibres –Quiet Afternoon, 1985. Photographie couleur. 34 x 24 cm chaque.
Victor Burgin
— Toutes les choses matérielles. Tous les critères. Tout moment antérieur au moment présent, de la série Enoncés performatifs, 1970. Texte imprimé en noir sur papier. 31 x 43 cm.
Hans Hollein
— Schwarzenberg, 1981. Console : loupe d’érable, bois laqué et doré. Edition Memphis, Milan. 70 x 140 x 40 cm.
Joachim Mogarra
— Bouquet perpétuel, 1988. Fleurs coupées, vase, eau. Dimensions variables.
Heimo Zobernig
— Sans titre, 1989. Carton, résine synthétique et miroir brisé. 282 x 147 x 14 cm.
Arman
—  Violons brûlés, 1970. Violons brûlés et collés sur panneau de bois aggloméré. 73 x 119 x 6 cm.
Seth Price
— Akademische Graffiti (Graffiti académique), 2009. Cd audio, 38’50’’.
— 8-4, 9-5, 10-6, 11-7, 2007. MP3 gravé sur Dvd. 8h07’3’’.
Nam June Paik
—  Oil TV, 1978-1982. Meuble TV, bougie. 86 x 46 x 59 cm.
Robert Barry
— Returning, 1975-1977. Projection en continu de 5’24’’ de 81 diapositives couleur et noir et blanc. Dimensions variables.