Bernard Aubertin et Bernard Rancillac
De rouge à rouge
En exposant deux vieux camarades, Bernard Aubertin et Bernard Rancillac, la Galerie Jean Brolly propose un face à face détonant: un des membres historiques du Groupe Zero confronté au fondateur de la Figuration Narrative. Tous deux ont proposé à leur façon une tabula rasa de l’art, l’un par l’utilisation du feu, l’autre par l’emploi de la photo de presse.
Les deux artistes sont réunis aujourd’hui autour de la couleur et de la thématique du rouge. Dans leurs œuvres, comme dans le cinéma de Chris Marker, «Le fond de l’air est rouge» ou comme le disait Giacometti: «le ciel n’est bleu que par convention, mais rouge en réalité» Si c’est ici le rouge qu’ils mettent à l’honneur, pas de place pourtant pour des papes, des juges, des procureurs ou des clowns au nez cramoisi. Ils convoquent plutôt des balles et du sang, le rouge des flammes, le rouge des Brigades, des Fractions, des Armées, le rouge de la nostalgie d’une certaine violence révolutionnaire.
Le moment fort de cette présentation transforme le spectateur en véritable garde rouge par la confrontation entre le fameux «dazibao» historique peint par Bernard Rancillac en 1966 et une série de Petits Livres Rouges calcinés par Bernard Aubertin. D’un côté un immense polyptique inscrit en lettres d’or dans la langue de Mao sur fond écarlate Vive la révolution populaire de Chine, de l’autre une «muraille» enflammée de petits bréviaires révolutionnaires du Grand Timonier est comme réduite à l’état de cendres.
La grande bannière de Bernard Rancillac prônait à l’époque, à la façon de La Chinoise de Jean-Luc Godard, une adhésion à l’idéologie maoïste et à sa propagande: elle garde aujourd’hui sa force de témoignage. Cependant, elle s’enrichit d’un sens historique et critique et illustre à merveille le travail de l’artiste qui remodèle le temps en proposant un écart critique entre information et vécu.
Face à cette nouvelle Affiche rouge qui rappelle que la Révolution Culturelle a fait couler autant d’encre que de sang, Bernard Aubertin propose une sorte de sacrifice mémoriel en carbonisant des petits manuels du grand Mao. Par cette performance inédite, il introduit une exploration dynamique du rouge et de la brûlure. Nouvel engagement incandescent de ce maître du feu.
Cette orgie destructrice de pourpre, de carmin, d’incarnat, d’or et d’étincelles illustre des ravages d’autrefois qui ont décimé les temples bouddhistes et envoyé aux champs les intellectuels. Elle nous fait aussi songer aux exactions commises aujourd’hui sous nos yeux par des fanatiques iconoclastes.
Dans cette exposition rutilante, par cette mise à feu de l’image, du verbe et du geste, Bernard Aubertin et Bernard Rancillac se retrouvent comme il y a 50 ans, réunis comme toujours dans un art de combat et de critique qui laisse la peur du rouge aux bêtes à cornes. La beauté dans leurs œuvres est combustible et tous deux n’ont pas peur de traverser le Rubicon même quand il est en flammes. Mais c’est étrangement peut-être le noir des années de plomb ou d’un drapeau vandale qui reste ici vainqueur sous la forme de cendres invisibles qui inscriraient d’un ton nihiliste: «Tout doit disparaître!».
Renaud Faroux
Vernissage
Jeudi 2 avril 2015