Brion Gysin, William S. Burroughs, Paul Armand Gette
De passage
«He was completely enigmatic, but he was completely himself.» W.S. Burroughs
«J’ai eu un déchaînement transcendantal de visions colorées aujourd’hui, dans le bus, en allant à Marseille. Nous roulions sur une longue avenue bordée d’arbres et je fermais les yeux dans le soleil couchant quand un flot irrésistible de dessins de couleurs surnaturelles d’une intense luminosité explosa derrière mes paupières, un kaléidoscope multidimensionnel tourbillonnant à travers l’espace. Je fus balayé hors du temps. Je me trouvais dans un monde infini… La vision cessa brusquement quand nous quittâmes les arbres.» Brion Gysin, extrait de journal, décembre 1958
C’est ainsi que Brion Gysin décrira en 1958 à son ami Ian Sommerville, la vision qu’il eut de la «Dream machine», qu’ils réaliseront ensemble à partir de 1960. Cet événement sert de base à l’exposition proposée ici, une présentation intimiste autour d’Å“uvres inédites provenant de la collection personnelle de Paul Armand Gette, d’écrits et de films, révélant la présence de l’artiste, comme une courte escale dans un périple créatif au long cours.
Peintre, poète, écrivain et performer américain, Brion Gysin est né à Taplow, Angleterre, en 1916 et mort à Paris en 1986. Installé à Paris en 1934, il fréquente le groupe surréaliste dont il sera exclu par André Breton pour homosexualité. Après un séjour à New York pendant la guerre, il s’installe à Tanger où il ouvre un restaurant: «Les Mille et une Nuits». Il y rencontre William Burroughs qu’il retrouvera à Paris, au Beat Hôtel, à la fin des années 50, commençant alors une longue période de collaboration littéraire.
Il met au point avec Ian Sommerville, la Dream Machine, expérimente le cut-up, (qui influencera considérablement l’œuvre de Burroughs) ainsi que les permutations, qu’il utilisera dans son travail plastique, écrit ou sonore. Gysin, au delà des milieux littéraires et picturaux, aura influencé de nombreux acteurs de la scène rock, Joy Division, David Bowie, Throbbing Gristtle, Kurt Cobain, entre autres, feront référence à ses recherches. A la fin de sa vie, il enregistrera et se produira avec le musicien Ramuntcho Matta.
«Brion Gysin est le seul homme que j’ai jamais respecté, j’en ai admiré beaucoup, estimé et évalué encore d’autres, mais je n’ai respecté que lui.» W.S Burroughs, 1986
«Faire une exposition en mémoire de Brion Gysin est une entreprise délicate. D’une part il ne faut pas trop embellir les souvenirs, d’autre part essayer de donner à ceux qui ne l’ont jamais rencontré une image qu’il n’aurait pas désavouée. Ecrire l’histoire, je ne m’y risquerais pas, se l’approprier après coup, ressort du mauvais roman feuilleton et le spectacle de l’agitation qui en résulte est d’une infinie tristesse.
Notre rencontre était inévitable, il était poète et j’aime la poésie. Il y avait autours de lui à Paris Françoise Janicot et Bernard Heidsieck, Henri Chopin, Lawrence Lacina parfois Ginsberg et Girodias et quelques autres, mais pas beaucoup, il y avait William bien entendu. La poésie, forcement ça crée des liens. Quand j’arrivais à Paris, Brion vivait rue Gît-le-Cœur et lorsque je le visitais nous regardions tourner une Dream Machine, parfois en compagnie de «ses diables»!
Ces machines, j’ai envie d’en parler. C’est sur la route de Marseille (voir supra) qu’il situe la naissance de l’idée de ce qui, ensuite avec l’aide de Ian Sommerville, deviendra la première Dream Machine. En 1962 dans le n° 2 de la revue Olympia il nous offrait la possibilité d’en construire une nous-mêmes, et en août 1965 il m’écrivait de New York « mais quant à la Dreamachine (sic) rien à faire encore ». Normal me direz vous. Normal mais fâcheux. C’est toujours la même chose, les gens des musées modernes regardent ailleurs, rappelez-vous Mondrian (17 ans à Paris!).
Dommage parce qu’ils sont payés pour être attentifs et pas quarante ou cinquante ans après. II est vrai que les machines à rêver ne doivent pas les concerner beaucoup. C’est cette même année que je lui ai demandé de faire un livre en sérigraphie: Permutations. Ce ne fut pas une mince affaire pour le faire écrire sur l’écran de soie, mais le livre existe.
Pendant ce temps là les cadrages d’espace, mon goût pour Alice et sa traversée du miroir, plus une fascination pour la minéralogie, formèrent un amalgame qui me conduisit rapidement vers les Cristaux qui étaient des aberrations perspectives et perceptives dans lesquelles nous plongions volontiers, il est facile de comprendre pourquoi, et en 1970 nous nous sommes retrouvés dans Gette’s Crystals (un livre et un film en 71) avec Brion, William et Bernard!
Entre temps il avait quitté l’hôtel de la rue Gît-le-Cœur et entreposé ses affaires chez moi, rue Bouchardon. Il y habita même un été pendant que nous étions en Suède. Tout y était, le coffre bleu, ses œuvres, son matériel, quelques vêtements aussi. J’ai vécu avec, et plutôt bien. Tout est resté longtemps pendant qu’il naviguait à droite et à gauche. Il me faisait penser à un marin à la recherche de je ne sais quelle toison. Il m’appelait « le gardien du coffre bleu » et il abandonnait à nouveau tout avant de repartir.
Il était attaché à Paris, il y est revenu, il y est mort en face du Beaubourg, mais ça aussi ils s’en foutaient. Alors qu’allons nous faire à Marseille pour parler de toi? Certes pas une rétrospective. Nous allons faire comme si. Comme si tu avais jeté l’ancre ici, pour un court instant, après tout c’est un port! Comme si tu étais allé faire un tour dans le quartier. C’est une histoire d’amitié, pas plus.» Paul Armand Gette, Paris, février 2013
«I am the artist when i am open, when i am closed i am Brion Gysin».