«Quand je me sais regardé, je me transforme en image», disait justement Roland Barthes. Les personnages de la vidéo de Serge Leblon semblent avoir largement intégré ce postulat barthésien.
Deux jeunes enfants, candides et heureux, folâtrent dans la neige. En fond sonore, la mélodie douce et gaie d’un piano les accompagne dans leurs joyeux ébats. Entre deux jeux, ils jettent des «regards caméras» à un hypothétique spectateur. Leurs rires, à force de persistance, en deviennent factices. Malgré tout, à l’instar d’une publicité au charme un peu désuet, la scène est plaisante.
A cette scène succède une autre : une jeune femme rousse est assise, immobile, légèrement prostrée, le visage presque blanc à cause d’un éclairage violent. Des silhouettes tournoient autour d’elle, mettant en place un décor.
Le fort contraste entre la posture pétrifiée de la jeune femme et l’agitation des autres hommes donne l’impression d’une image qui serait la réunion contre nature d’une photographie et d’une vidéo.
Un mouvement de paupière fugace de la femme joint de nouveau les deux espaces-temps. Le fond sonore est lui aussi double : à une musique douce de cinéma des années 50 s’adjoint le brouhaha d’un plateau de tournage.
Ces plans-séquences sont des «images-temps» au sens deleuzien du terme : images uniquement optiques qui se situent en dehors de l’action. Les personnages se donnent comme image, obéissant à un diktat cinématographique qui les enjoint de bouger, de sourire, de s’immobiliser. Mais la limite est ténue chez Serge Leblon entre la réalité et la fiction: c’est ce qui procure à celui qui regarde ses images un plaisir rétinien si particulier.
La dizaine de photographies que Serge Leblon expose également participent de la même logique cinématographique.
Une maison à colonnades est à peine perceptible au travers d’une végétation floutée comme si l’image était un photogramme d’un lent travelling. Un balcon cache à moitié une porte par laquelle on s’attend à tout moment à voir surgir un personnage. Des paysages forestiers ne sont pas (encore) habités. Des éviers sont abandonnés à la douceur de la lumière d’un crépuscule. Un ballon est esseulé sur une plage. La rousseur d’une chevelure déborde d’un cadre. D’un repas entre amis, Serge Leblon ne considère que les verres et, en arrière-plan, les coudes des convives.
S’agirait-il d’une esthétique du hors-champ ? Quoi qu’il en soit, en dehors du champ s’abandonnent objets et choses qui renseignent mieux sur une atmosphère que d’éventuels sujets en action. L’atmosphère est ici «image-temps» en attente d’être habitée.
Serge Leblon développe une «esthétique de l’inhabité» ou du «délicatement habité» en quelques images d’une fragilité exquise.