En réponse à la question qui lui est posée par le critique Stéphane Bouquet sur les raisons de recréer aujourd’hui sa pièce de 1996, De l’air et du vent, le chorégraphe belge Pierre Droulers réactive la vieille, et au combien stérile, polémique de la non-danse. « Parce que je ne vois plus vraiment de corps habités, passionnés par le mouvement, de corps qui s’investissent de sensations et peuvent jubiler », « parce que je ne vois plus de danse », affirme t-il, péremptoire, dans la feuille de salle du Théâtre de la Cité internationale — qui présente sa pièce jusqu’au 11 juin 2011. A croire que Pierre Droulers, trop occupé à codiriger le Centre chorégraphique de Charleroi depuis 2005, est passé à côté des dernières créations de Yuval Pick (Score), Anne Teresa de Keersmaeker (En Atendant), Israel Galván (El final de este estado de cosas, redux) ou encore du jeune quatuor Bengolea/Chaignaud/Freitas/Harrell (Mimosa), qui ne sont dépourvus, ni de charge émotionnelle, ni de puissance jubilatoire.
Pire encore, ces quelques mots lancés en guise de justification, aussi légers en apparence qu’un éclat de rire, réduisent la danse à une réalité univoque — il n’y aurait qu’une danse et non des danses, propres à chaque auteur — et à un mouvement ininterrompu quand il est autant question de présences, de silences, de pauses, d’espace et de temps, de spectateurs ou encore, comme le disait le chorégraphe Boris Charmatz dans l’ouvrage Entretenir, « d’un traitement sensoriel spécifique de l’environnement ».
Qu’en est-il donc de cette pièce « vraiment » dansée, de ces quatre vingt seize minutes de spectacle portés par cinq nouveaux interprètes triés sur le volet — le collectif de danseurs-chorégraphes lyonnais Loge 22, à l’origine de la première mouture, n’a pas souhaité s’intégrer au projet de réactivation ? Que dire aujourd’hui de cette tentative d’incorporation de l’air et du vent, en autant de « fictions », « torsions », « sculptures », pour reprendre les termes du chorégraphe ? Comment en capturer « l’émotion toujours en mouvement », lumineuse ou mélancolique ?
De l’air et du vent version 2010 s’offre finalement à nous comme une proposition assez classique, dans son esthétique un tantinet démodée (mais ne l’était-elle pas déjà en 1996 !?), mélange parfaitement dosé de théâtralité à la mode eighties et de mouvements soignés, entre grimaces, discrètes pantomimes et fluidité des corps. Les artifices de la scénographie, sacs plastiques virevoltants et autres accessoires tirés du banal, dont on apprécie de prime abord la poésie matérielle, s’usent à force d’usage. Le même genre d’usure érode l’énergie de la pièce, à force d’unissons surranés ou de rencontres anecdotiques, et l’on finit par s’ennuyer…
Quelques instants précieux nous restent pourtant en mémoire : un ballon qui se gonfle d’air tandis que des poumons se vident, des bruits de papiers froissés, un corps indécis comme une girouette en plein vent, un autre en proie au déséquilibre, des orteils en éventail, écarquillés au monde… Et si nous ne trouvons aucune raison impérieuse à la réactivation de cette pièce en particulier — réactivation qui sauverait la danse actuelle de son immobilité et de son insensibilité ! — il faut reconnaître à Pierre Droulers le mérite d’avoir su rythmer De l’air et du vent comme une respiration, tantôt régulière ou haletante mais toujours en marche, faisant de la scène un lieu d’intense circulation.
— Conception : Pierre Droulers
— Interprété par : Yoann Boyer, Stefan Dreher, Peter Savel, Katrien Vandergooten, Michel Yang
— Création musicale : Philippe Cam
— Musiques : Gyorgy Kurtag, Luciano Berio, Jean-Philippe Rameau
— Création : lumière Jim Clayburgh
— Scénographie et costumes : Thibault Vancraenenbroeck