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David Renaud

Mêlant habilement la rigueur de l’esprit scientifique à la liberté potentielle qu’offre le genre de l’anticipation, le travail de David Renaud se joue des codes pour explorer l’espace. Éprouvés dans leurs repères, les visiteurs de l’exposition «L’horizon absolu» (au FRAC Poitou-Charentes du 28 janvier au 28 mai 2011) seront invités à se projeter dans le paysage d’une utopie revisitée.

Votre travail de cartographie tend récemment à disparaître de vos dernières expositions au profit de structures davantage architecturales. Peut-on y voir une évolution?
David Renaud. L’ensemble de mon travail plastique s’articule autour de différentes orientations. Celui sur la cartographie, la topographie, a pris une part plus importante, ou du moins, a davantage été montré. En parallèle, j’ai toujours développé d’autres pistes de recherches qui, parfois, viennent croiser la cartographie, l’interrogent ou initient de nouvelles voies, parfois de manière inattendue. Cela me donne l’opportunité de déplacer, d’ouvrir des points de vue, créer des liaisons, générer des méthodes et faire naître des formes. Le travail à partir de la cartographie est généralement très déterminé ou prédéterminé. Il est lié à une carte, un lieu, une intention. Une fois que ce choix est fait, d’une certaine manière, la pièce est faite. Bien sûr vient ensuite la réalisation, mais elle subit peu de modifications lors de la phase de la production, sa forme est déterminée par l’intention. Si d’autres pistes s’ouvrent, elles se traduisent dans de nouvelles pièces. J’ai eu l’envie de bousculer cette méthode. Le travail sur les modules architectoniques me donne plus de liberté. J’ai une intention, une idée de structure, de sculpture. La forme va se construire en atelier tout en suivant l’évolution de cette idée.

L’exposition au FRAC Poitou-Charentes, «L’horizon absolu», semble s’inspirer de la science-fiction.
David Renaud. Cette exposition est particulièrement marquée par l’univers de la science-fiction et son titre force cette dimension, en donnant un premier sens de lecture, comme une image qui viendrait en recouvrir une autre. C’est d’ailleurs globalement le principe des peintures qui y sont présentées: une image presque décorative qui se donne à voir mais qui fonctionne comme un appel à d’autres images, d’autres types de questions. En cela, le titre «L’horizon absolu» qui est une référence à Deleuze et Guattari m’intéresse particulièrement en regard d’une définition «classique» de l’horizon: cette ligne lointaine qui nous appelle, nous amène à toujours aller de l’avant. Mais, le travail de la cartographie me l’a démontré, on avance pour toujours revenir à notre point de départ. Alors que l’horizon absolu serait à N dimensions dans un univers qui se plie et se déplie sur lui même, sans ce retour au point de départ. Dans l’exposition, deux peintures en particulier nous proposent, si on veut bien le voir, ce type d’horizon. Et, spécialement pour l’occasion, je prépare une grande pièce: Plutonian Day, un panorama dans une structure circulaire. L’image que je projette d’y peindre sera une image sobre, qui pourrait sembler simple voire même simpliste. «Un jour sur Pluton» c’est aussi un autre horizon.

On sent ici un passage depuis le paysage topographique (révélé sous formes de camouflage, peinture, carte) dont la nature est contrainte, à un paysage spatial qui serait davantage porté par l’imaginaire.
David Renaud. J’aimerais revenir au camouflage, un travail que j’ai développé il y a quelques années, qui pour moi est une véritable clé. Le camouflage sert à transformer, à cacher ce qu’il est vraiment. Le travail sur la surface, qui est aussi la peau, m’a toujours intéressé. Indirectement, mon approche de la cartographie pouvait parler de cette surface-là. On cherche à voir un paysage dans les cartes mais c’est avant tout une représentation scientifique et normée. On peut trouver dans mes productions cartographiques une potentialité de paysage mais c’est d’abord une approche de l’ordre du langage, de la pensée, de ce que cela implique, de son origine, qui m’intéresse. Il y a d’ailleurs un rapprochement intéressant à faire entre le camouflage et la cartographie, ils sont tous les deux une représentation analytique du territoire, et tous les deux sont une manière de se l’approprier. Une façon de se l’arroger. L’ouverture sur l’univers de la science-fiction, ses codes iconographiques, me permet d’avoir plus de champ, dans le sens où l’on est obligé de se demander d’où viennent ces images, quelles sont les origines de ces codes. Au premier abord, les nouvelles formes que je produis peuvent sembler plus désuètes, plus simples mais sont certainement bien plus complexes et trompeuses que les précédentes — le camouflage et la cartographie — par les leurres qu’elles proposent.

En comparaison à ceux employés par la cartographie, les codes de la science-fiction donnent-ils plus de libertés?
David Renaud. La cartographie est un langage scientifique, historique, doté d’un alibi de sérieux qui la catégorise de fait dans le domaine de la pensée. La science-fiction traîne une réputation tout autre, il y a une idée générique de quelque chose de populaire, de désuet. C’est ce cliché qui m’intéresse, je joue très explicitement avec cette image-là. La plupart des «structures architectoniques» que je propose — je ne sais pas encore véritablement comment les nommer — s’inspirent très clairement de références, entre autres des années 70, d’illustrateurs comme Christopher Foss, qui peuvent pour certaines évoquer une forme vulgaire de l’image. Mais j’aime l’idée de pouvoir utiliser ces codes que l’on peut considérer comme moins sérieux. Bien que depuis ces dernières années, l’idée de la science-fiction comme porteuse d’une pensée (philosophique, politique, etc.), soit plus largement défendue. Il suffit de penser à Micromégas de Voltaire, ou aux Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, à la tradition de la littérature utopiste, critique, politique, qui entretiennent une filiation directe avec la science-fiction. Effectivement ces auteurs ont pu être des visionnaires. Dans la science-fiction contemporaine, il y a deux aspects qui me semblent particulièrement intéressants. Le scientifique où l’on voit comment ces auteurs ont pu penser notre matérialité, imaginer comment on pourrait se développer et proposer à partir de là toutes sortes de dérives possibles. Mais il y a aussi un aspect politique et philosophique. La majorité des grandes œuvres de la science-fiction pensent le devenir de la société dans une projection plus ou moins lointaine. La science-fiction ne se limite pas aux vaisseaux spatiaux, mais traite des humains, de leurs capacités, de ce qu’ils sont prêts ou non à accepter. Il y a un double langage. En parlant de l’avenir, la science-fiction questionne également le présent en forçant certains traits de notre société actuelle.

Quelles sont vos sources d’inspiration?
David Renaud. J’opère un jeu de va-et-vient. Les formes proposées sont clairement de la citation de la science-fiction, mais il y aussi Malevitch, Georgii Krutikov, les constructivistes russes ou les architectes utopistes des années 60, comme Buckminster-Fuller. Ces artistes dans lesquels je puise des repères ou des articulations appartiennent à des moments ou des courants de la pensée utopiste. Et la question que je me pose est de savoir ce que l’on en a fait. Ces utopies sont-elles simplement devenues des images d’illustration pour science-fiction de deuxième, troisième catégorie? Ou avons-nous encore des capacités à projeter, à réfléchir l’utopie ou encore à y croire? Que fait-on de cette histoire des modernités?

Peut-on aussi y voir des références plus lointaines : les fabriques de jardins (folly) du XIXe siècle, l’architecture de Nicolas Ledoux ou encore la philosophie de Charles Fourier?
David Renaud. Plutonian Day, l’une des pièces de l’exposition — une section de sphère — emprunte à Ledoux et à son architecture radicale et visionnaire mais elle n’y fait pas exclusivement référence, le contexte est autre. Elle s’inscrit aussi dans une filiation directe à l’histoire des panoramas, qui étaient extrêmement populaires au XIXe siècle.

Comment avez-vous pensé la mise en espace de l’exposition?
David Renaud. L’idée de «jardin» me semble assez juste. La plupart des œuvres sont organisées non pas dans un rapport à l’espace mais plutôt du point de vue du parcours du spectateur. Quelle position va-t-il avoir dans la relation à l’objet proposé, qu’il soit sculptural ou pictural? C’était d’ailleurs un axe déjà pris en compte dans les pièces sur la cartographie. Partant du rapport habituel que l’on a au support papier, comme lire une carte, je joue sur des basculements et des changements d’échelle. On retrouve ici cette notion. Il y a une idée de déambulation, de déplacement du spectateur parmi ces objets qui font aussi appel à d’autres types de sens que la vue, jouant sur la désorientation par des effets optiques, par l’introduction de gyrophares, de fumée et même par le son.

Les effets d’échelles, la multiplication des points de vue et des ambiances témoignent d’une prise en compte du visiteur, de son corps dans l’espace.
David Renaud. Les tours sont construites dans une réelle tradition de la sculpture donc dans ce rapport d’échelle, qui est une question récurrente dans mon travail. En proposant des pièces qui évoquent des maquettes, je joue sur les échelles: on peut à la fois les considérer comme des maquettes mais également comme «des objets spécifiques», sculpturaux. Il y a donc un jeu de glissement continuel dans la perception de ces objets. Evidemment, c’est propre à chacun, mais c’est ce que je tente d’obtenir. J’aime aussi voir ces sculptures comme des figures, d’ailleurs je les ai nommées The Guardian, The Observers et The Sentinel. Au final, ce sont peut-être elles qui nous observent. L’exposition va être très colorée, voire dynamique, ce qui suscitera sans doute une première impression d’univers ludique. Le but est d’amener ensuite le spectateur vers quelque chose de bien moins naïf, beaucoup plus tendu, dangereux même.

On trouve aussi ce genre de procédé dans des séries américaines comme Star Trek.
David Renaud. Effectivement, avec ce genre de séries, qui pour les plus anciennes, sont d’une grande naïveté, proches de la bêtise pour certaines, on a en même temps cette question sous-jacente de la place de l’humain dans l’univers. En ce sens, cette bêtise-là peut devenir intéressante.

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Jean-Yves Jouannais, «De la cartographie comme cartomancie», catalogue monographique David Renaud, Montreuil, Éditions de l’œil, 2009.

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