Par Pierre-Evariste Douaire
Traduction de l’anglais par Betty Damhers
De quoi parle votre nouvelle exposition «Iconography»?
David Mach. «Iconography» aborde une nouvelle problématique axée sur les images des personnes connues. Toutes les pièces de l’exposition sont nouvelles. Depuis longtemps je voulais travailler en volume et arrêter la série des masques. J’ai transféré la problématique des collages dans les sculptures en allumettes.
Pourquoi choisir des icônes françaises ?
David Mach. Je tiens compte du goût du pays, je m’adapte à ses mœurs et à son marché. Johnny Hallyday est une icône spécifiquement et uniquement française. C’est un cas intéressant, au même titre que Cliff Richard en Angleterre. Savoir si ce sont de bons musiciens ne m’intéresse que moyennement, en revanche leur aura est fascinante à observer. J’analyse les images médiatiques en fonction de leur portée nationale et internationale. Johnny, à ce titre, est plus local que global.
Faites-vous une différence entre une icône et une star ?
David Mach. La distinction entre une icône et une star est évidente. Je ne suis pas un expert, mais après avoir passé un temps fou à regarder autant de portraits, j’en ai vu des millions, j’ai acquis une solide expérience en la matière.
Madona, par exemple, n’est ni une icône, ni une star, elle est juste quelqu’un de très connu. Par contre Hitler, Staline, Mao, malgré leurs crimes, sont des icônes. Que vous les aimiez ou non, leur image résiste aux attaques du temps. Une icône transgresse le temps et le langage, pour s’imposer à tous comme une évidence, elle va au-delà des mots. En tant qu’artiste, c’est précisément ce qui m’intéresse de traiter. Je tente de trouver un langage plastique qui comprenne et interprète le flux médiatique.
Parlez-nous de vos collages.
David Mach. De mon temps, pour avoir une image correcte sur le poste de télévision, il fallait trifouiller les boutons et l’antenne. Avec les collages je tente de faire la même chose. Je réalise un portrait à partir d’une seule image. J’achète en plusieurs exemplaires une carte postale unique, que je découpe en morceaux. Pour le collage de Johnny je me suis servi d’une carte d’Elvis. C’est à la marge de l’image recomposée que le King devient visible. Au centre de la composition il est impossible de le reconnaître. Johnny et Elvis apparaissent tour à tour au sein de la même image, d’abord au centre et ensuite à la périphérie. Ce va et vient est très important à mes yeux, il incite les gens à regarder.
Pourquoi utilisez-vous des cartes postales pour vos collages ?
David Mach. Une carte postale représentant la Chine joue sur le même principe que le visage de Mao. Dans les deux cas, un pays, un personnage se réduisent à une image. La carte postale parvient à simplifier une complexité. Cette simplification est un moyen de comprendre un pays, une ville, une personnalité. Continuer à utiliser des cartes postales à l’heure d’internet est paradoxal. Nous croulons sous les images, mais elles tirent leur épingle du jeu. Mes premiers collages utilisaient des magazines, je poursuis la même démarche avec ce nouveau matériau. Les collages fonctionnent sur le même principe que les «Iconography» en allumettes.
Votre travail joue beaucoup sur la répétition ?
David Mach. Je suis accro à la répétition, mais je préfère encore plus l’exagération. La société nous impose un comportement approprié alors que l’art autorise les artistes à l’extravagance et la démesure.
Pourquoi utilisez-vous des matériaux simples dans vos sculptures?
David Mach. Je ne travaille pas avec des matériaux nobles comme l’argent ou l’or, je préfère utiliser les objets de la vie quotidienne jetables, comme les allumettes ou les cintres du pressing. Ce sont des déchets en sursis. Leur durée de vie est courte. Après avoir servi, ils rejoindront les poubelles. Ce sont également des objets banals et très bon marché. Au-delà de ça, ce sont des objets qui ne représentent rien. Les utiliser comme matériaux pour des sculptures est sans doute très orgueilleux. C’est assez gonflé d’obtenir, avec tellement peu, de tels résultats !
Vous cherchez à transcender les objets que vous utiliser ?
David Mach. La combinaison de ces objets sans vie se transforme en énergie créatrice. A partir de rien il est possible de faire apparaître une forme. Avec de la patience et un peu de chance, une transformation est possible. Une sculpture en cintres me donne la chair de poule, elle provoque des réactions autant physiques que morales. Ces sentiments me submergent totalement. Les sculptures en cintres sont aussi fragiles que vacillantes. Il suffit de les toucher pour qu’elles se mettent à bouger, à onduler.
Quel type de réaction cherchez-vous à obtenir ?
David Mach. Les gens sont paresseux, ils ne regardent pas. Alors que notre quotidien nous impose de prendre des décisions toutes les minutes : comment s’habiller, se coiffer, etc. Le public reste indécis devant une œuvre d’art, son libre arbitre disparaît devant une sculpture. Les matériaux que j’utilise, comme les allumettes et les cintres, renforcent la difficulté de voir. J’oblige les gens à regarder, à se poser des questions. Je défie leur paresse à observer, qu’ils aiment ou pas ne vient que dans un second temps.
Vous aimez que l’on s’intéresse aux matériaux que vous utilisez ?
David Mach. C’est important de reconnaître les matériaux que j’utilise, j’étais attaché à cette idée à mes débuts. Il ne fallait pas que les objets se dissolvent, disparaissent dans la sculpture, mais qu’ils restent apparents, accessibles, compréhensibles.
Comment travaillez-vous ?
David Mach. Je me sers de tout mon corps pour travailler. Mon cerveau, mes yeux, mes mains, mes bras, mes jambes, mes pieds me permettent de comprendre ce que je fais. Je suis foncièrement manuel, j’ai besoin de toucher les matières pour comprendre.
Depuis peu, je joue de la batterie et le rythme musical se retrouve dans mes sculptures. Le rythme est essentiel dans mon travail. Je bats toujours la mesure quand je travaille une pièce. Je procède toujours de la sorte. J’utilise l’énergie qui vient de mon corps. Si vous êtes attentif, vous verrez que tous nos gestes sont habités par le rythme. Le rôle d’un sculpteur est de l’orchestrer dans ses compositions pour obtenir un résultat à la hauteur des comédies musicales de Fred Aster. Toutefois c’est souvent la maladresse qui est au rendez-vous au lieu de la grâce recherchée.
Pour créer une pièce il faut des millions de gestes. Pour une tête de Bouddha en allumettes, il faut lui consacrer trois mois d’efforts, sept jours sur sept, dix heures par jour. Cet effort est nécessaire pour accoucher d’une telle pièce. J’aime pourtant la spontanéité, mais dans mon atelier je suis un laborieux.
Pourquoi travaillez-vous des grandes sculptures ?
David Mach. Je fais des grandes pièces depuis toujours, cela me permet de jouer à fond la carte de l’exagération. La grandeur augmente la difficulté et impose une exigence.
Pourquoi tant de minuties dans vos travaux ?
David Mach. Je suis Écossais et depuis mon enfance j’ai toujours vu des gens fabriquer des choses. La briqueterie d’à côté faisaIt un boucan d’enfer, mais sortait des briques toute la journée, toute la semaine. C’était merveilleux d’entendre cette grosse machine qui ronronnait toute la nuit, elle me berçait et m’aidait à m’endormir la nuit.
Cette exigence ouvrière m’habite toujours aujourd’hui. La fierté du travail bien fait rentre totalement dans ma logique. Face à un père mineur, à des voisins pêcheurs, ouvriers sur les plates formes pétrolières de la mer du Nord, j’ai toujours complexé d’être artiste. J’ai besoin de me justifier, de prouver que mon travail est lui aussi pénible et fastidieux. Encore aujourd’hui j’éprouve le besoin de montrer que je travaille beaucoup.
Pourquoi brûlez-vous vos sculptures ?
David Mach. Je suis fasciné par la briqueterie de mon enfance, par sa fournaise. Même sous la pluie, je prends plaisir à faire un feu de camp sur la plage. Le feu protecteur et destructeur est intéressant à observer. Cette matière de l’instant nous replonge instantanément au temps des cavernes, avec elle, nous retrouvons nos instincts primaires d’admiration et de peur. Faire une performance avec le feu se révèle toujours aussi impressionnant qu’évanescent.
Pourquoi un sculpteur éprouve-t-il le besoin de travailler avec l’éphémère?
David Mach. De quoi parlez-vous ? Quelle différence entre vingt ans et mille ans? Il faut absolument éviter la confusion entre l’éphémère et l’éternité. Une sculpture dure longtemps mais ne peut braver indéfiniment le temps. Les objets disparaissent tous un jour ou l’autre, les montagnes aussi. Paradoxalement une action éphémère disparaît, mais reste présente durablement en nous. Griller une allumette permet de rendre possible cette expérience. L’éphémère chez moi est synonyme de permanence.
Bien qu’Écossais, vous sentez-vous proche de la sculpture britannique?
David Mach. Je reste un outsiders. Je suis arrivé à la fin d’une histoire déjà longue. J’ai été invité dans des expos où il y avait, Tony Cragg, je suis très reconnaissant aux organisateurs de m’avoir invité à côtoyer ces sculpteurs. C’était de bonnes expériences, mais honnêtement je pense être dedans et dehors à la fois.
Par contre mon travail présente l’avantage de ne pas être copié, car il demande trop de temps. Je n’ai pas fait école à cause de ça précisément. D’autres sculpteurs ont des suiveurs, mais pas moi, car il faut s’investir énormément, c’est trop pénible, trop besogneux. La télévision impose l’immédiateté et récolte de la médiocrité, j’essaie de faire l’inverse.