ART | CRITIQUE

David Lefebvre

PNicolas Villodre
@23 Sep 2008

À quoi ça sert, de nos jours, qu’un peintre se décarcasse ? Telle est la question qu’on se pose en découvrant le travail de David Lefebvre. Ce vieil art figuratif peut-il encore «tenir son rang» face à l’accumulation de signes bien plus énervés, déversés 24 h/24 par la télévision, le cinéma, les jeux vidéo, les téléphones portables et le web…

David Lefebvre a fait partie du groupe de peintres que Nicolas Thély et Stéphane Sauzedde ont rangé dans la catégorie esthétique qu’ils ont appelée la «Basse def», en référence au rendu vidéo, en faible résolution, qui occupe peu d’espace dans un disque dur et qui, de ce fait, peut être diffusée sur un réseau à un flux assez rapide.
Les deux commissaires de l’exposition grenobloise de 2007 ont parlé de «Basse def» pour qualifier tantôt les «gisements de formes inépuisables» qui ont définitivement remplacé la «peinture sur le motif», tantôt la technique vive, décomplexée, voire bâclée, qui se situe, qu’on le veuille ou non, dans la lignée de l’«expressionnisme abstrait», de la «bad painting» et de la Nouvelle Figuration.

De fait, les sujets traités sont ici assez banals: une sortie en boîte, une scène de livraison ou un poulet dans l’herbe. Le tout, croqué vite fait mal fait. L’artiste pense en avoir fini et laisse volontiers des «zones de réserve» dans certaines parties de sa toile, des traces de mise à carreau (ou plutôt à rectangle) au crayon noir. Un goût d’inachevé qui exclut tout repentir.

Les commentaires sur le travail de David Lefebvre usent de lieux communs, comme celui de dépense, au sens de potlatch où l’entendaient Marcel Mauss et Georges Bataille, qui commence à dater quelque peu, ou encore celui d’une soi-disant «impureté» (aussi agaçante que son contraire), en vogue depuis une dizaine d’années.
Autant on peut admettre que les coulures, giclures et bavures relèvent de la geste dépensière du peintre, autant on ne voit pas en quoi celui-ci commettrait un sacrilège en peignant à l’huile, sur de la vraie toile, comme dirait l’autre, au jour d’aujourd’hui, c’est-à-dire en 2008 !

Le peintre a une attitude ambiguë, à la limite de la schizophrénie : il pratique son «métier» tout en voulant se situer hors champ, en dehors de la peinture au sens strict. Il innove donc dans cette niche du déceptif et de l’inabouti, et pas du tout dans le renouveau du médium ou dans celui de la recherche formelle.

L’exposition de la galerie Zürcher présente plus de trente toiles, de tous les formats, plus ou moins léchées, plus ou moins lâchées en l’état par le jeune artiste. Des portraits, des paysages, des animaux, des natures mortes, en plans généralement rapprochés, parfois en très gros plans.
La toile qui nous a semblé la plus convaincante est celle qui présente deux femmes, l’une, à gauche, de profil, chaussant des baskets à quatre bandes, assise sur une chaise de jardin public, l’autre, à droite, face caméra, dans son fauteuil roulant. Il ne s’agit pas seulement du sujet du tableau puisque l’artiste peint indifféremment tout ce qui lui passe sous le nez. Mais il faut reconnaître que la composition, cette fois-ci, est parfaite. L’œuvre est classique et «classe» à la fois. Qui plus est, à la bonne échelle.

David Lefebvre
— Sans titre (Harpa), 2008. Huile sur toile. 100 x 81 cm.
— Sans titre, 2008. Huile sur toile. 100 x 65 cm.
— Sans titre (Charlotte), 2008. Huile sur toile. 89 x 80 cm.
— Sans titre (muret), 2008. Huile sur toile. 61 x 88,5 cm.
— Pingouin #2, 2008. Huile sur toile. 46 x 38 cm.
— CAC 40 du 11.04.05, 2006. Huile sur toile. 30 x 40 cm.

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