David Goldblatt est un enquêteur méticuleux, à l’affût d’indices dont l’insignifiance apparente est d’autant mieux révélatrice de l’état du monde. Et le monde de David Goldblatt, c’est l’Afrique du Sud. La fin de l’apartheid, dont il a témoigné tout au long de sa carrière en documentant le quotidien, et ses architectures vernaculaires, de chaque côté de l’invisible frontière, l’a contraint à l’invention d’un nouveau cadre de travail.
Pour rendre compte de l’évolution de ce pays, il imagine un artifice : il fera le relevé visuel systématique, et parfaitement aléatoire, des cent vingt-deux points d’intersection des méridiens et latitudes qui quadrillent le pays. Des prélèvements de hasard, des quelconques, qui seront ainsi singularisés, pour témoigner. C’est aussi le passage à la couleur. La bipolarité du noir et blanc, dont la force symbolique voilait pudiquement la cruauté du réel, est abandonnée au profit d’une information aussi complète que triviale.
Ainsi démarre une nouvelle approche du paysage, immense et désolé, des plateaux sud-africains, et des portraits de ceux qui y vivent. Prises de vue à la chambre, définition extrême de l’image dans tout le champ et sa profondeur, longs temps de pose qui enregistrent les souffles de l’air, et intensifient les poses et les regards.
Et le détail indifférent devient un monument testimonial : pots d’échappements déjà passablement usagés en vente sur les trottoirs de Johannesburg, tulipes en plastique vivement coloré, à l’entrée d’un domaine qui s’étend à perte de vue, cairn dans les collines sèches, qui pourrait être une tombe, tente de fortune dans la poussière, sous laquelle un homme abat les cartes d’une réussite, barbelés rouillés qui courent à n’en plus finir dans le désert.
Autant de stigmates de l‘appropriation de la terre par les blancs, et des conditions de vie misérables qui perdurent. Les légendes expliquent, donnent les noms des gens, des lieux, rapportent les faits. Elles raccrochent les images à une histoire concrète, les retiennent à leur fonction documentaire, alors que leur qualité esthétique, que leur confère notamment le velouté de l’impression sur papier coton, les tire du côté de la belle image, mais de celle qui, discrètement, rend visible ce qui ne l’était pas.