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David Dubois

Lieu emblématique du design, la villa Noailles invite David Dubois à réaménager une chambre de résidence. De cette expérience nait un univers aux objets hybrides, qui fait l’objet d’un ouvrage paru au printemps 2008. Propos recueillis à l’occasion de la sortie du livre.

Mathilde Le Coutour. La villa Noailles est un lieu historique (construite par l’architecte Mallet-Stevens dans les années 1920) offrant un cadre prestigieux aux créateurs. Quel est votre rapport à ce lieu?
David Dubois. J’ai un rapport très affectif avec ce lieu et son équipe, cela fait plusieurs années que j’interviens de manière régulière à la villa Noailles, pour des expositions ou encore des scénographies. J’ai beaucoup de chance car cet endroit est vraiment incroyable, c’est la première construction de  Mallet-Stevens. Le fait d’y aller régulièrement me permet d’appréhender plus directement son architecture. A chaque fois, je découvre des choses que je n’avais pas vu la première fois. Cette construction est intéressante car c’est bien plus qu’ une simple architecture, ce lieu est pensé globalement, proposant jusqu’à l’intégration de tables, placards, étagères ou horloges à ses murs, tout en restant des espaces appropriables. Ce lieu était donc très inspirant.
 
Parlez-nous du contexte de cette commande institutionnelle?
David Dubois. Quatre chambres d’amis avaient récemment été rénovées à la villa Noailles. Jean-Pierre Blanc, directeur des lieux, a eu l’idée de faire aménager chacune de ces chambres par un designer différent. Le soutien financier permettant leur réalisation concrète est venu du ministère de la Culture ainsi que la Fondation de France.
François Azambourg, Florence Doléac et Bless ont également été invités à travailler sur le projet. Nous avions tous la particularité de bien connaître les lieux. Les chambres sont très spartiates puisqu’elles font chacune 15m2 environ et, à quelques différences prêt, ces espaces sont identiques, chacune d’entre elles donnant  sur une terrasse commune plantée d’herbe surplombant la baie de Hyères. Un cadre plutôt sympathique !
Avant le début de cette commande, on pouvait déjà dormir sur place quand on allait à la villa pour des projets en cours, les chambres avaient été provisoirement aménagées par du mobilier militaire, prêtés par une caserne hyèroise. Pour moi, cet aménagement sommaire était suffisant. Il m’a fallu beaucoup de temps pour envisager cet espace avec un mobilier différent de celui auquel je m’étais habitué et dans lequel je me retrouvais complètement.
J’ai rapidement organisé mes réponses vers un espace ouvert. Des artistes, designers, architectes ou chorégraphes seront invités à profiter de ce lieu pour une résidence,  le temps d’une recherche personnelle, ce n’était donc pas l’endroit pour faire du signe ou du spectaculaire et encore moins l’endroit pour imposer par du mobilier une « manière de vivre » trop directive. Il était pour moi important que ce lieu reste le plus appropriable possible.
Le cahier des charges nous demandait de répondre à l’idée de s’éclairer, s’asseoir, travailler, dormir… J’ai répondu par des objets aux formes simples, réalisés dans des matériaux naturels, tout en ouvrant ces différents objets fonctionnels à d’autres possibilités. Comme à mon habitude, j’aime bien proposer des services supplémentaires, des alternatives fonctionnelles. Greffer à un premier usage d’autres usages, tout en gardant la fonction première qui est de dormir pour le lit, de travailler pour le bureau, et de s’asseoir pour la chaise.

Justement, parlez-nous des objets que vous avez conçus pour cette chambre.
David Dubois. La chaise (Bag Chair), par exemple, propose une alternative à la fonction première de s’asseoir : une zone de rangement située sous l’assise permet d’y glisser ses effets personnels.
Pour le lit (Bois de lit), j’ai imaginé deux poutres indépendantes permettant de soutenir le sommier et matelas mais aussi d’intégrer une table de nuit à l’un de ces deux volumes de bois.
Le bureau, en bois contreplaqué cintré, se fixe au mur, il ne possède pas de pieds. L’équerrage de cette table, renforçant sa stabilité, se fait par des larges sangles en cuir. L’absence de pied me permettait de rendre plus visible le sol de la chambre car ce sol d’origine a la particularité d’être une sorte de fresque cubiste, comme un plan en deux dimensions peint a même le sol venant indiquer par des formes géométriques l’emplacement des meubles qui occupaient la pièce à l’époque.
Les Airbags sont des lampes gonflables prévues pour l’ensemble de la chambre (lit, bureau et plafond). Très légères, elles développent un rapport très différent à la lumière, un rapport que je qualifierais de « décomplexé » puisqu’il est possible de prendre la lampe avec soi dans son lit, comme un ballon lumineux qu’il est possible de jeter au sol. La partie gonflée d’air qui entoure l’ampoule fluo compact la protège naturellement des chocs. Je voulais aussi proposer une alternative à la lumière électrique, pouvoir allumer une bougie en cas de coupure électrique, ce qui arrive régulièrement à la villa quand le mistral est un peu violent. Le bougeoir proposé, Adhesive Candle, est un objet léger et graphique, presque un non objet. Une simple bande métallique vient maintenir une bougie  a l’écart du mur ainsi qu’un briquet pour l’allumer. C’est un ruban adhésif standard qui vient fixer l’objet au mur recouvrant également la surface de la structure porteuse. Au final, ce bougeoir mural donne l’impression d’être uniquement constitué d’un morceau de scotch déroulé sur le mur, la fixation reste simple sans avoir à attaquer le support de chevilles et de vis.
En guise de patère murale (Vertical Shoes), j’ai utilisé une basket blanche en cuir de Pierre Hardy. Je n’ai absolument pas changé la forme initiale de cette chaussure, seulement décidé de la fixer en position verticale sur l’un des murs de la chambre. L’idée est simple, voire simpliste, mais c’est justement cette idée qui me plaisait. Je voulais juste déplacer un objet du quotidien dans une fonction qui n’est pas la sienne mais dont la forme permet tout à fait de jouer le nouveau rôle qu’on lui accorde. C’est un léger décalage, celui de voir un objet familier dans une position totalement inhabituelle.

Vous avez également proposé des objets pour la salle de bain…

David Dubois. J’ai proposé une gamme de serviettes en tissu-éponge, en gardant toujours cette idée de double usage. Parmi les propositions, l’une de ces serviettes, de forme standard, se fixe à la fenêtre située de côté et à quelques centimètres du lavabo, elle devient ainsi un rideau permettant de préserver l’intimité du lieu (les toilettes sont dans la même pièce). La serviette reste utilisable comme telle, séchant plus rapidement après utilisation du fait de son déploiement total tout en profitant des rayons solaires.
Un autre exemple est la serviette de bain, qui peut se refermer sur elle-même à l’aide de zips situés sur les cotés, devenant ainsi un sac de plage. Deux ouvertures parallèles sont intégrées et permettent de glisser le bras afin de porter ce sac à l’épaule au retour des plages hyèroises.

Le vase que vous avez conçu pour la chambre vient d’être très récemment édité par la galerie Fr66?
David Dubois. C’est un objet assez emblématique de l’état d’esprit général du mobilier que j’ai proposé à la villa. Il reflète aussi assez bien ma manière de concevoir les objets. Le cahier des charges nous réclamait un vase qui serait fleuri à l’arrivée d’un nouvel occupant. Je ne voulais pas proposer un vase comme un objet à part entière, comme un objet en plus, qui ne s’utilise en règle générale que très ponctuellement. J’ai préféré l’intégrer de manière plus discrète à un pot de fleur situé au sol de la chambre. Le vase est un tube interne solidaire d’un pot en terre cuite d’une hauteur similaire mais d’une largeur plus conséquente. J’aime beaucoup cette idée que la partie vase disparaisse au milieu de la terre, si celui-ci n’est pas utilisé.
Cet objet est aujourd’hui édité par la galerie Fr66 à Paris, il s’intègre dans une collection plus importante de pièces en terre cuite que j’ai développée cette année à Vallauris, dans le sud de la France, avec le céramiste Claude Aiëllo. Cette collection d’objets met en relation des éléments issus d’un processus biologique naturel : les plantes viennent de la terre, les fleurs de la plante et les fruits des fleurs. J’ai rencontré Claude Aiëllo dans le cadre de ce projet de chambre, mais je le connaissais déjà via des projets qu’il avait réalisés pour Ronan Bouroullec ou Florence Doléac. Je trouvais logique de travailler avec un artisan local et j’avais surtout envie, depuis très longtemps, de travailler la céramique, en particulier avec Claude dont je considérais le savoir faire comme exceptionnel.

Les designers Florence Doléac, François Azambourg, et Bless, ont aussi été invités à aménager une chambre à la villa. Quel a été le lien éventuel entre vos différentes approches?
David Dubois. On nous a demandé de designer ensemble le mobilier destiné à la terrasse que nos chambres respectives avaient en commun. Au départ, cette idée nous semblait amusante, de voir comment nous allions arriver, par nos approches différentes, à créer cet espace ensemble. Puis vu le temps qui nous était imparti, entre l’avancement individuel de nos projets et la production des pièces, nous nous sommes rapidement repliés vers l’idée de choisir du mobilier existant sur le marché. Nous avons opté pour du mobilier type « camping », pour sa légèreté et sa praticité.
Pendant ce projet, nous nous sommes beaucoup vus entre nous, pour des réunions d’organisation validant les étapes d’avancement, réunions qui étaient souvent des prétextes pour prendre un verre et pour parler d’autres choses. Cela nous a beaucoup rapproché les uns des autres, toujours curieux de l’avancement de nos projets et de nos différentes réponses face à ce même exercice qui nous était confié. Avec Florence Doléac, nous avions le même ébéniste, on voyait évoluer nos meubles, on se faisait des commentaires sur nos projets. Cette expérience à été très agréable à vivre, une situation finalement assez rare dans ce métier relativement individualiste que nous faisons.

Vous intitulez votre projet « Lieu de vie dans son contexte global »…

David Dubois. C’était la nature même de ce projet, concevoir un lieu dans sa globalité. En tant que designer, on est plus habitué à dessiner des objets ponctuellement, les uns à la suite des autres, formant petit à petit un univers ou une vision plus globale. Et puis je n’ai pas derrière moi des années de production d’objets. J’avais jusqu’à ce projet très peu de recul sur mon propre travail et sur la manière que j’ai d’appréhender l’objet et l’espace à vivre. C’était jusque-là très inconscient.
Ce projet m’a permis de consolider ma démarche, d’affirmer un vocabulaire qui est le mien. Je me suis rendu compte que je fonctionne d’avantage sur la relation que les objets développent entre eux, sur une narration, un dialogue entre l’espace, les objets et leurs utilisateurs. Cette mise en relation est pour moi essentielle. Ce projet était un cadre idéal, penser un lieu dans sa globalité, la projection plus concrète d’une manière de vivre, une expérience réelle d’habiter l’espace que je propose ici aux futurs résidents du lieu.

Avez-vous déjà eu des retours depuis l’aménagement de la chambre ?
David Dubois. Pour l’instant les retours sont positifs, plusieurs personnes qui ont déjà profité de la chambre m’ont téléphoné pour savoir si certains des projets étaient édités et où il était possible de se les procurer. C’est très agréable car il est rare d’avoir des retours directs des utilisateurs de nos produits. Grâce à l’équipe de la villa Noailles, nous aurons régulièrement des informations sur le sentiment des résidents quant aux aménagements de nos chambres, c’est un processus vivant et sûrement très constructif…

Bibliographie
David Bubois, Pierre Doze, Une chambre à la villa Noailles, 2008. Editions Bernard Chauveau.

Lien

www.davidduboisproduct.com
 

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