La commissaire Anne Pontégnie a réuni au Consortium certaines des pièces les plus importantes d’un artiste peu connu, qui ouvrit la voie à un art conceptuel décalé. Étranges, occultes, insaisissables, bien d’autres adjectifs pourraient encore définir les Å“uvres de David Askevold qui font appel à une multiplicité de médiums et de sources d’inspiration. Il explore aussi bien les différentes techniques artistiques que son subconscient — à moins que ce ne soit le nôtre — cette part émotionnelle et autonome de l’esprit.
Plusieurs installations ont été reconstituées comme The Two Hanks qui représente parfaitement la pluralité de sa pratique. Inspiré par la musique country, David Askevold convoque en 2003 les deux icônes décédées Hank Williams et Hank Snow — l’un connu pour son alcoolisme, l’autre à l’inverse pour sa sobriété — dans une «cérémonie d’invocation» entre humour et spiritisme.
Lors de la cérémonie originale, la salle était plongée dans l’obscurité, éclairée seulement par des flashs de lumière. Des musiciens, dont David Askevold, créaient une ambiance sonore alors qu’un micro permettait à celui-ci de lancer ses invocations. Au centre de la pièce, deux filets suspendus contenaient des blocs de glace sur lesquels était versé de l’eau pour l’un, du whisky pour l’autre. La vapeur constituée par cette action devait faire apparaître les deux fantômes.
L’installation au Consortium comprend une vidéo et des photographies de l’évènement, une reconstitution des éléments matériels (scène et banc), une guitare électrique, mais aussi des dessins préparatoires où l’on découvre que ce projet remonte à la fin des années 70. Derrière l’aspect grotesque de l’évènement, l’installation actuelle montre combien l’artiste préparait ses Å“uvres avec soin, à l’aide de plans dans lesquels chacun des éléments était défini, mesuré et positionné. Si le travail de David Askevold s’incarne par le flou de l’expérimentation, la place réservée au hasard n’existe que dans le résultat de l’Å“uvre et non dans sa construction.
Cette rigueur préparatoire se retrouve dans Delville’s Visit, à l’origine un ensemble de photographies visant à créer deux mondes, le paradis et l’enfer, d’après un tableau du peintre symboliste Jean Delville, Les Trésors de Satan (1895). Une partie des photographies n’ayant pas été retrouvée, des dessins décrivant minutieusement le projet sont présentés pour que l’on puisse se rendre compte de ce qu’était l’installation.
Le travail collaboratif de l’artiste est également mis en avant par deux Å“uvres réalisées avec deux de ses anciens élèves, Tony Oursler et Mike Kelley. Le premier a produit une vidéo pour l’exposition, Two Beasts, qui regroupe des photographies et des vidéos échangées avec David Askevold de 2006 à sa mort, mêlant scènes quotidiennes et angoisse, objectivité et brouillage, projetées en une mosaïque de 20 fenêtres de tailles égales.
Avec Mike Kelley, il confectionna un diptyque dont seule est ici présentée la moitié qui lui est due (Poltergeist, 1979). Il s’agit d’une série de fausses photographies d’ectoplasmes réalisée par juxtaposition d’images en partie prises par lui-même et en partie trouvées.
Cette manière de construire des images est caractéristique de la pratique de David Askevold. Par l’assemblage il part dans une recherche de l’accidentel, d’un résultat fortuit né d’images préexistantes, souvent opposées ou décalées, à qui il offre l’expérience de la rencontre afin de créer une nouvelle vision.
En témoigne la série de photographies Ten States in the West (1978) qui fonctionne sur ce principe, alliant par exemple un plan rapproché et glamour du visage éclatant d’une jolie femme (Greta Garbo ?) avec l’image d’une scène de crime dans un noir et blanc de mauvaise qualité.
Cet effet de contradiction est également utilisé dans une vidéo comme It’s No Use Crying de 1972. Le visage de l’artiste filmé en gros blanc et à l’envers apparaît totalement inexpressif pendant les 3 min 30 où l’on entend la chanson éponyme de Ray Charles, au son quelque peu torturé. L’opposition entre la musique, le sens des paroles donné par le titre et cette figure sans émotion crée un décalage aussi humoristique que perturbant, alors qu’à force d’être fixé, ce visage flou renversé semble prendre une forme nouvelle et monstrueuse.
On découvre également à l’occasion de cette exposition que David Askevold a traité de politique dans certaines de ses Å“uvres. La série Burning Bush datée de 2005 présente des dessins satiriques faisant se réunir George W. Bush et Moïse. Le jeu de mots est fait sur «Bush»: buisson en anglais, qui renvoie ici au buisson ardent comme au président américain. Ce dernier est tourné en dérision pour son emploi bien connu du vocabulaire biblique dans ses discours politique, à l’époque où il appelait à partir en croisade contre l’axe du mal.
Dans les dessins, Bush croit qu’il est en relation directe avec les plus hautes sphères divines, face à un buisson ardent, alors qu’il s’agit en fait du diable qui le pervertit à son insu.
Tirées de la même série, deux photographies de brasier font face aux dessins, juste à côté de Nova Scotia Fires, une de ses premières vidéos faite en 1969, où des images de flammes et de terre volcanique sont assemblées à des paysages maritimes, marquant les prémices de son jeu de rapprochement d’oppositions.
Balayant l’ensemble de sa carrière à travers des pièces exemplaires de la diversité et des mécanismes de son travail, cette rétrospective réussit l’exercice difficile d’une présentation claire et cohérente, d’un artiste qui a fait de la désorientation un des paradigmes de sa pratique.
Si Mike Kelley le qualifie de «scientifique», c’est probablement à la manière des pataphysiciens, dans la science du non-sens, ou bien des membres de la conspiration écrivant l’histoire du monde de Tlön dans la nouvelle de Borges, à l’étude d’un monde qui n’existe que dans leurs esprits.
Cette exposition complexe comme elle se présente elle-même demande du temps au spectateur pour s’acclimater à cet univers étrange. Rappelons-nous cette phrase de Robert Nickas, «1 + 1 = 3 n’est ni bon ni mauvais, ni vrai ni faux; c’est une expérience».
— David Askevold, Two Hanks, 2003. Vidéo et installation, .
— David Askevold, The Two Hanks, 2003. photos de la performance Two Hanks
— David Askevold, The Ghost of Hank Williams, 1977-1980. Dessins et collage
— David Askevold, The Ghost of Hank Williams, a conjuring invocation, 1979-1980. Dessin
— David Askevold, Two Hanks Two Ghosts, 1979 – 2003. Dessin
— David Askevold, Ten States in the West, 1978. Photographies
— David Askevold, It’s no use crying, 1972. Vidéo, 3 min 30
— David Askevold, Sixteen Candles, 1991. Vidéo, 11 min
— David Askevold, Inveterate Inversions to the Memory of Johannes Kepler born 1571, 1974. Sérigraphie et collage
— David Askevold, Inveterate Inversions to the Memory of Johannes Kepler born 1571, 1974. Pièce sonore
— David Askevold, Taming Expansion, 1971. Photographies et texte
— David Askevold, Nine Synapses, 1975. Photographies et dessin
— David Askevold, Prototype for 9 synapses, 1975. Photographies et collage
— David Askevold, Green Willow for Delaware, 1974-1989. Photographies et texte
— David Askevold, Green Willow for Delaware, 1974. Vidéo
— David Askevold, Burning Bush, 2005. Dessins
— David Askevold, Burning Bush, 2005. Photographies
— David Askevold, Nova Scotia Fires, 1969. Vidéo, 2 min 30
— David Askevold, Delville’s visit, 1980-1981. Photographies et document
— David Askevold, Poltergeist, 1979. Photographies
— David Askevold, Muse Extracts, 1974. Textes et photographies
—Â Tony Oursler / David Askevold, Two Beasts, 2010. Video
— David Askevold, Love Mansion, 1997. Photographies, portfolio