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Date limite de consommation

Pour sa troisième exposition personnelle chez Anne Barrault, Heidi Wood transforme la galerie en show-room permanent. Régulièrement, elle renouvelle les «produits» (ses peintures) qui s’y trouvent. Tableaux, wall-drawings, papiers peints, tout est susceptible d’être retiré et remplacé. Et si l’acheteur n’est pas encore séduit, les tableaux de l’exposition sont photographiés «en situation», c’est-à-dire accrochés dans un environnement favorable à la mise en valeur de l’espace (ici dans un couloir, là dans une cafétéria).

Les motifs qui habillent ses toiles ont d’ailleurs un impact immédiat, sans que l’on puisse déterminer s’ils sont simples ou complexes, ni même s’ils relèvent de signes identifiables. Ils vivent sur des fonds monochromes ou neutres et empruntent leurs formes au monde du design industriel autant qu’à l’esthétique abstraite.
Cette double parenté ajoute une dose de perversité et de profondeur dans les intentions d’Heidi Wood. Pas totalement sorti du langage de la peinture contemporaine et pourtant un pied vissé déjà dans le territoire du «manufacturé». Comme un renversement de la pensée moderniste lorsque celle-ci convenait (à juste titre) que le vocabulaire de l’industrie tenait sa grammaire des inventions artistiques du XXe siècle.

L’abstraction d’Heidi Wood se fait humble, c’est l’une de ses grandes vertus. Les tableaux «en situation» déjà évoqués plus haut nous le montraient. Il y a également la série des «Tendanciers», ces wall-drawings (motifs + fonds monochromes) qui reprennent les couleurs de la mode vestimentaire du moment, une autre manière de réduire l’écart entre l’œuvre et son potentiel acquéreur.
Ou encore ses interventions à Los Angeles, des simulations de ses motifs sur des panneaux urbains publicitaires mises en regard d’un slogan interpellant le regardeur. C’est en toute subtilité que l’Australienne nous délivre son message. A travers une mise en abîme permanente de l’œuvre, ou plutôt de ce qu’une œuvre peut être aujourd’hui. Face à ses lieux de production, d’exposition ou de réception, au cœur d’un parcours où prend part le fait économique.

Car enfin, l’art contemporain n’est pas un espace protégé de la société de consommation. Il dispose d’un potentiel marchand, avec ses réseaux de vente, ses décideurs, ses leaders, ses clients, son marketing.
Le nier, c’est perdre contact avec la réalité. Le nier, c’est aussi ne pas considérer les capacités critiques de l’art à retourner la situation en sa faveur.

Heidi Wood adopte ce principe de réalité. Avec le détachement qu’on lui connaît et cette manière d’infiltrer la production industrielle pour mieux la moquer. S’accaparer ses normes, son design, ses techniques commerciales pour en révéler les stéréotypes. Puis surtout envisager sans tabou les correspondances qui se tissent avec l’art contemporain, harnaché bien souvent à son devenir consommable. Un vrai projet sociologique en définitive.

Emmanuel Posnic
— Budapest à la carte – Village Loin with Patato Pie, 2008. Huile sur tissu d’ameublement (diptyque). 92 cm x 65 cm (x2).
— Budapest à la carte – Larded Saddle of Deer Hunter-Style, 2008. Huile sur tissu d’ameublement (diptyque). 130 cm x 82 cm (x2).
— Simulation d’accrochage (semaine 1), 2008. Galerie Anne Barrault.
— Simulation d’accrochage (semaine 2), 2008. Galerie Anne Barrault.
— Simulation d’accrochage (semaine 3), 2008. Galerie Anne Barrault.

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