Ambroise Tézenas
Dark Tourism
Le tourisme «macabre» est une des nouvelles tendances de l’industrie touristique. Chaque année, le nombre de visiteurs augmente. Théâtres de catastrophes naturelles ou de guerres, scènes de crimes, quartiers dangereux ou sinistrés, la liste de ces lieux de désolation accessibles aux touristes ne cesse de s’étoffer. Leur point commun: la mort, le danger, les stigmates visibles et surtout une proximité dans le temps qui rend le drame tangible. Mais face à une logique commerciale implacable, les sites ne sont pas tous égaux. Et pour attirer les visiteurs, certains Tours Operator font preuve d’une imagination parfois douteuse.
Le projet «Dark Tourism» est un état des lieux non exhaustif mais suffisamment large pour mettre en lumière une dérive de notre monde actuel jamais photographiée dans son ensemble. Selon Lonely Planet, le tourisme macabre devrait connaître dans les années à venir une très nette progression. La liste de ces nouveaux lieux touristiques ne cesse de s’allonger: les «killing fields» au Cambodge, le «Katrina Tour» à La Nouvelle Orléans ou encore le «visit Chernobyl Tour» en Ukraine. Cette offre d’un genre nouveau s’inscrit souvent dans la recherche de nouvelles niches marketing sous fond de voyeurisme d’une industrie en constante progression. Aujourd’hui il est devenu «acceptable» de visiter les sites attachés à la mort notamment en signe de respect pour les victimes. Une série d’événements dramatiques sont ainsi ancrés dans la conscience des gens à travers la culture populaire et les médias. Ils font désormais partie des expériences touristiques et culturelles.
On pourrait se féliciter de cet intérêt croissant des touristes pour les faits tragiques de notre histoire contemporaine. Cependant, il est intéressant de se pencher plus précisément sur l’importance donnée à un lieu plus qu’à un autre et sur les motivations de certains visiteurs. On remarque par exemple que si les guerres du début du XXe siècle continuent à susciter de l’intérêt, elles ne focalisent plus la même attention. Sans la mémoire des survivants pour les valider, ces évènements lointains ne parlent plus finalement de notre modernité et de ses conséquences. Ils sont moins des vecteurs de doute, et d’anxiété. Le lieu est un prétexte, une scène où le danger doit être pressenti, mais pas forcément réel. En réalité, les «spectateurs» veulent surtout se rassurer. «Il y a une volonté de conjurer le malheur et la précarité des choses en se maintenant dans une position favorable» explique le sociologue David Le Breton, auteur de Passion du risque.
Par ailleurs certains lieux qui n’ont pas recueilli l’intérêt du cinéma ou des médias ne suscitent pas la même émotion auprès du public alors qu’ils sont de même importance. Les technologies globales de télécommunications et l’interprétation politique jouent un rôle majeur en créant l’intérêt initial et en «sélectionnant» des lieux de mémoire. Une nation célèbre rarement les crimes qu’elle a perpétrés.