C’est à Alain Weber que l’on doit cette programmation exceptionnelle. Né le 7 juillet 1952 à Paris, l’anthropologue et ethnomusicologue est, depuis 2004, chargé de la programmation au Musée du Quai Branly et préside aux destinées des musiques et spectacles au théâtre Claude Levi-Strauss. Ses recherches sur le cycle « Corps, miroir du féminin » l’ont mené jusqu’en Birmanie…
La première partie du spectacle est consacrée aux danses de cours birmanes, qui semblent s’inspirer de la danse indienne, cambodgienne et thaïlandaise : une danse désarticulée, « contorsionniste », des coudes, genoux, poignées et chevilles. Comme des marionnettes, les corps semblent tirés par des fils et les expressions des visages très codifiées rappellent celles des masques. Plusieurs Danses des dynasties abordées ici puisent leurs origines dans les dynasties Bagan (XIe et XIIIe siècles).
L’enfant Phyo Phyo inaugure le spectacle par la danse des sept variétés : les sept séquences fondamentales, dont celles de l’alchimiste Zawgyi, du démon Bélu, et la danse des tambours Ozi. Dans ce solo, le danseur virtuose développe plusieurs narrations dans un costume somptueux de perles et de soies brodées. Les mains recourbées à l’extrême témoignent de la souplesse et de l’agileté exigées. Les expressions de son visage composent une multitude de personnages et d’animaux mythiques.
S’ensuit le duo du prince Mintha et de la princesse Minthami, symbole de l’amour parfait. Puis, dans un solo très didactique — une danse de parade —, le danseur incarnant le prince révèle toutes les arcanes de son style raffiné.
De la même manière, le solo de la princesse montre toute l’essence de sa danse « sucrée » caractérisée par une lenteur dissociée du rythme de l’orchestre. Le mouvement bridé semble témoigner d’une succession d’étapes alchimiques ou d’une profonde intériorité relatives à une quête de l’expression pure de la féminité.
La scène suivante intitulée la « Joute masculine entre le jeune prince et le prince senior » aborde la résolution du complexe d’Œdipe : le père et l’enfant se disputent ainsi les attentions de la mère et refusent les rapports trop fusionnels de l’un ou de l’autre avec cette dernière. L’harmonie est retrouvée lorsque les trois personnages accèdent à une autonomie dansante suffisante.
L’entracte permet aux spectateurs de savourer l’espace immense du bar qui jouxte la salle de théâtre — sa spacieuse scénographique tout en courbes paraît parfaitement propice à l’expression de ce cycle — et d’aborder avec une attention maximale l’inoubliable seconde partie : celle du rituel Nat-Pwe.
Un deuxième autel a fait son apparition sur la scène plus important que le précédent. Il comporte 8 grandes statuettes de Nat (seigneur en sanskrit) et davantage d’offrandes, dont deux bouteilles de vin rouge pour le Nat qui fait banc à part. Les Nats sont des esprits de malemort considérés en même temps que le bouddhisme du Theravada, la religion dominante. L’ethnologue Bénédicte Brac de la Perrière, qui a étudié ce phénomène dans son livre Les Rituels de possession en Birmanie : du culte d’Etat au cérémonies privées, y détaille les usages de ce culte composé d’un panthéon de 37 Nats.
La beauté des costumes et la gestuelle rappellent les danses de cours birmanes. Toutefois, l’esthétique et la virtuosité technique passent désormais au second plan. Il s’agit ici d’une représentation d’un rituel, à mi-chemin entre la danse et le rituel. Même si à la fin, Win Hlaing, le maître du rituel, possédé de façon très maîtrisée par le Nat deviendra un véritable officiant pour les spectateurs incultes. Il ira à leur rencontre et les interpellera en birman, leur jetant des billets à la figure. Le chant très expressif et les sons du hautbois paticipent de la réussite de ce mariage avec l’esprit, même si le danseur est censé ne jamais céder à une possession intégrale. Il s’agit d’une « improvisation » rituelle semi-dirigée. Parfois deux danseurs effectuent en même temps le rituel et revêtent les atours d’esprits de malemort souvent décédés dans des circonstances inacceptables à des époques antérieures, dans un lointain pays. Les regards de ces danseurs-officiants sont charismatiques, toute l’énergie du corps semble se concentrer sur le visage et le regard. Les relations de l’officiant avec l’orchestre sont denses et interactives, ponctuées de chants. Le médium Win Hlaing réclame progressivement cette même interaction avec le public.
Après le spectacle, Win Hlaing, un des médiums travestis les plus réputés de Birmanie, explique comment il fut visité à l’âge de 8 ans par un Nat. Résidant depuis dans un village de médiums, il est désormais sollicité pour officier lors de mariages, de créations d’entreprises ou pour des conseils. Ce type d’action s’intègre très naturellement dans le quotidien birman et ses usages sociaux se rencontrent à toutes les échelles de la société.
Première partie : Danses des dynasties (35 minutes)
— Danseur : Min Naing Soe
— Danseuse : Win Tapya Tun
— Danseur enfant : Phyo Phyo
Deuxième partie : Rituel Nat-Pwe (50 minutes)
— Avec Nat-Kadaw : Win Hlaing, maître du rituel, Kyaw Win Naing, Than Htay, Hla Shwe
— Musiciens : Cho Mu Win, Ye Latt Oo, U Maung Dwei, U Hla Myaing, U Aye Myint, Lin Lin Latt, Kyaw Win
Direction du projet, Kyaw Myo Ko