DANSE | CRITIQUE

Danse élargie

Vernissage le 26 Jan 2010
PCéline Piettre
@28 Juin 2010

Après une journée consacrée aux finalistes, trois artistes se sont vus décernés hier soir, au Théâtre de la Ville, le prix du concours Danse élargie, initié par Boris Charmatz. Elargie aux autres disciplines donc, la jeune danse se révèle aussi réjouissante que fragile. A l’image de ce qu’on peut attendre de la première édition d’une compétition, ouverte à tous...

Un vent de parodie a soufflé sur le Théâtre de la Ville à l’occasion de la présentation des douze finalistes de Danse élargie – première manifestation du genre en France depuis le déclin du Concours chorégraphique international de Bagnolet, en 1988. Pas une brise légère, tendrement taquine, mais une vraie bourrasque d’ironie furieuse, de kitch, de mauvais goût, d’orgie critique, de cabaret sauvage! Les cibles: la danse contemporaine, conspuée dans ses fondamentaux – ses figures mythiques, son enseignement, ses poncifs stylistiques−, le spectacle, bien sûr, et enfin la compétition en elle-même – cf le Match nul du quartet Bussery, Chénin, Cyganek et Grenèche.

A croire que cette décennie naissante, du moins si l’on s’en tient à la journée d’hier (et pour faire écho à la Dynastie des jeunes artistes plasticiens présentée en ce moment au Palais de Tokyo) aurait déjà intégré les leçons irrévérencieuses de ses aînés, celles de la compagnie Zerep par exemple. Baroque et décomplexée, persifleuse et cabotine, telle serait la tendance scénique actuelle? Une sélection 2010 qui nous le laisse penser…
En conséquences, et en raison du niveau inégal − faible diront les autres – des participants (peut-être dû à la jeunesse du concours, ou à la quasi absence de références exigées en vue de la participation), l’ambiance tourne parfois au potache, et le seuil est vite franchi entre l’ironie et une bouffonnerie à courte portée critique. Une orientation qui a quand même pour principal avantage de nous préserver des tentatives prétentieuses et des démonstrations de virtuosité. Et de nous faire rire aussi, un talent observé encore trop rarement sur les planches du prestigieux théâtre.

Le jury, quant à lui, composé de 14 représentants des différentes disciplines scéniques – la réalisatrice Claire Denis, le jazzman Mederic Colignon, le vidéaste Ange Leccia ou l’instigateur de la manifestation Boris Charmatz, par exemple – a tout du cénacle idéal. Il omettra pourtant, dans sa sélection finale, la performance de Scali Delpeyrat, Dance is a Dirty Job but Somebody’s got to Do it, un trio borderline et pourtant parfaitement construit, très bel hommage du théâtre à la danse, heureusement récompensée par le prix du public. A l’inverse, on pourra complimenter ce même jury de ne pas être passé à côté de Rimshot, concert de batterie sysiphéen noyé sous une avalanche d’éclats de cierges brisés par leur impact avec les cymbales. Métaphore de l’éphémère, construction sonore née de la déconstruction, la pièce, portée pourtant par un processus des plus simples, marque par ses qualités rythmiques et plastiques. Un prix spécial du jury plus que mérité.

Le podium officiel, enfin, distingue trois des douze finalistes (et des 360 projets pré-sélectionnés!) Le premier prix, soit la somme de 10 000 euros, est attribué au (très) jeune chorégraphe Noé Soulier et à son travail sur les neurones canoniques et les neurones miroirs – cellules qui seraient à l’origine de l’anticipation du mouvement et de la communication. Si ses Little Perceptions évoquent avec justesse les stimuli du système nerveux et les processus d’imitation, nécessaires à la formation du langage et caractéristiques de l’être humain, la forme, quelque peu littérale, reste décevante.

Notre enthousiasme irait plutôt aux gagnants de la deuxième place, Aloun Marchal, Roger Sala Reyner et Simon Tanguy, dont la force parodique n’enlève rien à la qualité du mouvement. Vêtus seulement d’un tee shirt, en un clin d’œil ironique à la pièce Aatt…enen…tionon de Boris Charmatz, les trois interprètes, performer, chorégraphe et dramaturge, mettent au jour le processus créatif et s’interrogent sur l’origine de l’écriture scénique – ne serait-ce qu’un simple mouvement de doigt suivi méthodiquement par le danseur!

Derniers couronnés de cette première édition de Danse élargie, Brice Bernier et Sofian Jouin, danseurs du collectif hip-hop KLP, portent, avec Insolents solistes, un regard réflexif sur leur pratique et ses origines en tentant d’en extraire la substance, débarrassée ici de la dimension spectaculaire et performative.

De notre côté, nous accorderons une mention spéciale à la maîtresse de cérémonie, la charismatique Claudia Triozzi, pour ces interludes décalés, et à la première proposition de la journée, Fluctuat nec mergitur, qui est parvenue à rassembler 300 figurants sur la scène du Théâtre de la Ville, rappelant par cet exploit que la danse, la scène, l’art, ce sont d’abord des actes de présence et une affaire de regard(s).

— 1er prix: Noé Soulier, Little Perceptions – France
— 2e prix: Aloun Marchal, Roger Sala Reyner et Simon Tanguy Gerro, Minos et Him – Espagne-France
— 3e prix: Brice Bernier et Sofian Jouini, Insolents solistes – France

— Prix spécial du jury: Aurélie Briday, Rimshot – France
— Prix du public: Scali Delpeyrat, Dance is a Dirty Job but Somebody’s got to Do it – France

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