Au milieu des récents portraits photographiques de Jean Faucheur, marqués par un étonnant travail de défiguration — brouillage artisanal faisant écho aux retouches numériques —, un coin de mur a été laissé vide. Sandra Moens y présente une courte performance intitulée Dans ma chair, réaction à la situation dramatique des femmes congolaises, victimes de viols.
Double résonance de ce titre, qui désigne à la fois le lieu du crime dénoncé par la jeune chorégraphe et le lien qui l’unit à la République démocratique du Congo. Ainsi les origines biologiques se voient convoquées comme matériau et instrument d’empathie, vecteur d’un message politique.
Sans un mot, la jeune femme évoque le viol et fait de sa propre chair, parcourue d’une vibrante émotion, le lieu privilégié de la transmission. Mais comment expliciter, outre la souffrance physique de ces femmes, les multiples incidences d’un tel acte ?
En choisissant méticuleusement les accessoires de sa performance, Sandra Moens a traduit cette complexité par une économie de gestes : vêtue d’un peignoir court qui laisse entrevoir son buste et découvre ses jambes, juchée sur des escarpins jaunes, elle s’avance dans l’espace de la galerie affublée d’un masque de cheval. Une fois postée dans son coin de mur, elle entame une série de mouvements à la fois sensuels et inquiets, entre découverte et retrait.
Ainsi littéralement « coincée », acculée par des assauts invisibles qui font naître dans son corps divers tremblements, elle semble chercher une issue, une prise sur les murs ou dans nos regards. Le talon haut fragilise la cheville, oblige à la demi-pointe, et empêche l’appui au sol nécessaire pour se défendre, donner des coups ou tout simplement les esquiver.
Intensément émue, l’interprète semble à tout moment prête à vaciller. Sous son masque, elle étouffe, par-dessus ce corps de grand cheval. Cheval de bataille … cheval de Troie ? Car c’est bien cela le viol : une arme de guerre. Au-delà du drame et de la souffrance individuelle, c’est une façon de miner les corps, de les occuper pour détruire les structures sociales et les liens familiaux qui s’y fondent. Les femmes ou les enfants violés se voient rejetés par leurs proches, leur village, tandis que les agresseurs jouissent d’une totale impunité : en touchant aux corps, c’est toute l’organisation structurelle de la société que l’on attaque.
En fin de performance, à bout de souffle, Sandra Moens retire son masque et ouvre grand la bouche : ce n’est pas un cri qui en sort mais une rose rouge, saignante et délicate, qui vient s’éparpiller au sol tandis que la danseuse s’éclipse en silence. Le public peut enfin respirer.
— Chorégraphie, vidéo et musique : Sandra MoensÂ