Loup solitaire, âme de chasseur, le photographe est le reporter des principaux quotidiens new-yorkais entre 1935 et 1945. Toujours en alerte, il rapporte à la presse des morceaux de vies, des morceaux de nuits. Sur des regards croisés, des spectacles singuliers, Weegee témoigne, se fait le correspondant intime du New York «d’en bas». Durant dix ans, il arpente la ville à la recherche de la Une du lendemain et comme on le dit pour les crocs, l’artiste se fait le regard.
Lower East Side, décor miséreux, Weegee s’arrête sur tout ce qui le touche: l’enfance, le dénuement, la rue, la ségrégation, le crime.
Le sommeil déroutant d’enfants dans une cage d’escaliers, la fulgurance d’un feu dans un immeuble en pleine nuit, le fossé qui sépare le monde des riches de celui des pauvres, les insultes raciales, l’impuissance d’un corps inerte sur un bout de trottoir. Le sang, les flammes, les armes, à ces minutes encore chaudes, si brutes qu’on les voit sans les voir, Weegee donne du sens et en fait des images.
Mais il dérobe aussi, ne laisse pas l’événement venir à lui mais va le chercher là où il se cache. Le regard d’un jeune voyou dans un camion de police, des bandits arrêtés qui cachent leur visage, le désespoir d’une mère et sa fille devant l’incendie de leur immeuble ou des scènes de foules, plus populaires. Le photographe crée le cliché, le fabrique en quelques secondes. Pour lui, il s’agit de «montrer combien, dans une ville de dix millions d’habitants, les gens vivent en complète solitude». Sensible et réaliste il poursuit les gestes et les attitudes, piste les visages et les regards.
C’est que son travail, pour lui, c’est plus qu’un métier ou une passion: un instinct.
Au fond de sa voiture ou d’une chambre d’hôtel, il attend. Doué d’un sens aigu de l’observation et de la mise en scène, il sait où et comment guetter. Surprendre la scène, l’immortaliser sur le vif. Dès 1938, muni d’une radio portative, Weegee est l’unique photo-journaliste à être branché en direct sur le canal de la police, un luxe de reporter qui lui assure indépendance, réactivité et lui permet d’arriver sur les lieux des crimes parfois même avant la police.
Ses cadrages étroits donnent au visiteur la sensation de vivre la scène sur place. Adepte du flash en plein jour et des points de vue à échelle humaine, il en résulte une série de photos toutes baignées d’une atmosphère lugubre, souterraine et magnifiées par une parfaite maîtrise du noir et blanc.
Au final, deux cent vingt huit œuvres collectionnées depuis vingt ans par Hendrick Berinson et réunies dans quatre salles du Musée Maillol. Un parcours chapitré, invitant à mieux connaître les thématiques défendues par l’artiste. Une rétrospective de poids.
Au delà du désir de laisser une trace, Weegee l’humaniste veut attirer l’attention. Des expressions rudes, des postures crues, l’enjeu est bien de montrer le vrai New York. Le vivace, le souterrain, son noyau dur, celui dont on ne parle pas. Animé d’une exigence éthique, il appuie là où ça fait mal et soulève les questionnements. Prises de conscience citoyennes? Dans un sens oui, mais pas seulement. Son travail nourri une réflexion sociale et collective plus large encore qui le place depuis comme l’un des photographes de presse les plus importants du XXeme siècle.
Plus tard, les artistes du Pop Art eux mêmes emprunteront à Weegee son sens inné de la scénographie instantanée.
Weegee
— Weegee au MoMA, 1944. 28,4 x 35,5 cm.
— Coney Island, 22 juillet 1940. 28 x 36,2 cm.
— Dans le panier à salade, 27 janvier 1942. 12,9 x 17,7 cm.
— Cellule de dégrisement à Los Angeles, 1951. 35,5 x 28,5 cm.
— Voyage en bus, années 1940. 19,2 x 25,3 cm.
— Meurtre à Little Italy sur Mulberry Street, 7 août 1936 . 25,7 x 20,4 cm.
— Un été au Lower East Side, 1937. 28,3 x 35,5 cm.
— Harry Maxwell abattu dans une voiture, 1941. 34 x 24,5 cm.