En 2008, le Cnd accueillait la manifestation « Sonorités et Corps d’Afrique ». Un ans après, les projets, individuels cette fois-ci, de Salia Sanou et Seydou Boro — chorégraphes de la compagnie Salia ni Seydou — ont mûri. Seydou Boro présentait au début du mois Concert d’un homme décousu, dont une version de travail avait été donnée lors de la manifestation de 2008. Salia Sanou se lance dans une exploration toute aussi personnelle avec Dambë, un duo pour danseur et chant.
Le monde est posé sur le plateau avec la simplicité axiale de ses dimensions : un mat lui donne la verticalité, des rocailles rougeâtres parsemées, l’horizontalité. Le public pénètre dans un espace qui vit déjà , rythmé par un brouhaha de voix, de sons et d’atmosphères d’un quotidien animé et savoureux.
Le son se fait plus présent et déferle, remplit littéralement l’espace : un chant âpre, mélodieux dans ses modulations répétitives. Salia Sanou vient à sa rencontre, un caillou sur la tête. Il s’avance lentement en gardant cet équilibre dangereux. La douceur des mouvements contraste avec la dureté du poids qu’il porte. Il parcourt le plateau d’un pas de plus en plus assuré. C’est une marche au rythme ondulant. Il répète toujours ce geste mécanique, compulsif, comme pour se rassurer, se sentir à l’abri : il pose le caillou et le déplace, repère d’un univers dont il prend les dimensions à la mesure de son corps allongé. Il joue dans la citadelle, la termitière tombe, s’effondre dans un nuage de poussière.
Le chant répétitif de la femme fonde l’espace et porte la danse de Salia Sanou, la provoque, l’accompagne, l’accélère, la rythme, avec des adresses parfois à la limite de l’imprécation. Et la danse monte dans le corps comme un spasme, se fait violente et saccadée, levant un nuage de poussière qui inonde le plateau, se répand dans l’air et colle à la peau du danseur terrassé par la force de ses impulsions. La danse approche le délire. La démarche brisée en chutes successives et l’immobilité hystérique des membres (qui semblent doués d’une volonté propre) renvoient à l’imaginaire de la possession. La voix aussi se fait plus âpre, plus impérative, des choses sont scandées — on ne sait jamais quoi…
Pris dans cette danse folle, hors de lui, Salia Sanou engage un face à face avec la griotte, se fait menaçant. Comme pour se libérer de cette tension presque intenable, il s’épuise ensuite à tourner autour du mat, centre de son monde. Il tourne furieusement, à perte, mettant tout en jeu pour résister à la force centrifuge qui voudrait le pousser vers les marges. De par ce geste même il se refonde.
Un corps à corps s’engage, où le contact est tour à tour tendre et brutal à l’image de la relation même entre le chant et le mouvement tout au long de la pièce. Car depuis le début, il y va d’une danse à deux. Plus que de danse, il y va de la présence, de la voix, du rythme qui fait se mouvoir les corps. Dans la tradition africaine, le chant véhicule un pouvoir immense, terrible et c’est lui qui mène cette danse commune, même si seul le corps de Salia Sanou est au bord de l’effondrement, épuisé, en sueur.
La pièce impose un rythme lancinant, des moments de lenteur, des points de suspension aussi, car le chorégraphe cherche à retrouver, remémorer à même le corps des sensations et des moments de son enfance. C’est une danse enfouie, de plus en plus physique, ponctuée par des éclats, effort lourd et contenu comme si le corps opposait résistance à ce que tous ces souvenirs montent à la surface. Salia Sanou nous invite à partager les choses qui habitent sa danse. C’est, plus qu’une représentation, une incorporation.
Si parfois la danse nous évoque l’impétuosité d’un gamin, puis d’un jeune homme, un parcours « initiatique » guidé par le chant, il n’y a pas besoin d’en trouver un fil narratif, le choc est encore plus fort quand toutes les âges et sensations se chamboulent, se confondent, s’entretissent.
— Chorégraphie : Salia Sanou
— Chant : Maaté Keita