Avec Giselle, la chorégraphe sud-africaine Dada Masilo livre une interprétation énergique de ce classique du ballet romantique. Une jeune paysanne, Giselle, tombe amoureuse d’un homme qui lui jure fidélité. Bravant les mises en garde, elle se laisse séduire. Mais le jeune paysan n’est pas celui qu’il prétend être, et le découvrant noble et déjà fiancé, Giselle perd alors la raison. Suivant les versions, elle se suicide ou danse jusqu’à en mourir, le cÅ“ur brisé. Rejoignant ainsi le royaume des wilis, femmes transformées en fantômes après avoir été trahies par leur amant. Dotées de pouvoirs vengeurs, les wilis font danser leurs proies jusqu’à la mort. Dans le ballet de 1841, chorégraphié par Jean Coralli et Jules Perrot, sur une musique d’Adolphe Adam, l’amour de Giselle supplante son désir de vengeance. Et à l’issue d’une nuit de transe, elle sauve néanmoins celui qui l’a trahie, Albrecht.
Giselle de Dada Masilo : la refonte énergique et engagée d’un classique du romantisme
Sur une musique du compositeur sud-africain Philip Miller, Dada Masilo livre une Giselle (2017) moins naïve et plus féministe. Sur scène, des dessins de l’artiste sud-africain William Kentridge sont projetés comme décors. Interprété par douze danseurs — Dada Masilo, Khaya Ndlovu, Nadine Buys, Zandile Constable, Ipeleng Merafe, Liyabuya Gongo, Xola Willie, Llewellyn Mnguni, Tshepo Zasekhaya, Thami Tshabalala, Steven Mokone, Thami Majela —, hommes et femmes endossent parfois le même costume féminin. Dansant avec force sur des sonorités puissantes, mêlant harpe classique, percussions africaines, violoncelle et violon occidentaux. Engagée et consciente, moins conciliante que sa version romantique, la Giselle de Dada Masilo déploie des émotions plutôt explosives. Chagrin, deuil, colère, vengeance : elle ne pardonne pas. Et assouvit dans la mort ce qu’elle voulait faire de son vivant : danser. Avec des wilis formant ici une cohorte endiablée.
Un ballet féministe et actuel (musique de Philip Miller, dessins de William Kentridge)
Comme l’énonce Dada Masilo, les wilis telles qu’elle se les représente, sont des êtres plus forts, plus dangereux, plus vicieux et plus puissants que ceux de la première version. Ballet sans édulcorant, Dada Masilo réussit à faire tenir ensemble des cultures et énergies disparates. Danse classique, ballet contemporain, accents de hip-hop… La Giselle de Dada Masilo se choisit un autre avenir : elle tue Albrecht plutôt que de le sauver. Et déjouant son destin tout tracé, cette Giselle rayonne de l’énergie de toutes les cultures. Danses africaines, ballets occidentaux, chants zoulous, harpes… C’est dans le corps de Giselle que cohabite le feu mêlé des énergies que l’histoire (colonisation, esclavage, apartheid…) aura divisé. Virulente et contagieuse, cette Giselle exulte. Après avoir réinterprété Roméo et Juliette (2008), Carmen (2009) et Le Lac des cygnes (2010), Dada Masilo bouleverse ici Giselle. En lui insufflant une force de caractère que l’époque romantique lui aura refusé.