Deux raisons précises ont conduit mon regard jusqu’à la Cartoucherie ce mardi 10 juin. Aucune hiérarchie ne s’impose entre les deux, l’une renforçant tout simplement l’autre. Il s’agit d’abord du travail de Rosalind Crisp, découvert en 2006 à Mains d’œuvres avec D a n s e (2), pièce qui interrogeait les rapports entre la danse et l’écriture par l’intermédiaire d’un duo avec Isabelle Ginot, critique et universitaire.
La deuxième raison de ma présence à Vincennes tient à la danse d’Alban Richard, rencontrée il y a déjà plusieurs années. Il me semblait que deux danseurs engagés aussi consciemment dans le travail du geste, dans une analyse fine, nuancée et poétique du mouvement, pouvaient offrir un temps de danse partagée plus qu’une quelconque mise en scène.
D a n s e est un dispositif que Rosalind Crisp développe de manière constante depuis 2005. Cela consiste en un esprit de travail, une pratique de gamme dynamique et de partitions, un ensemble de principes instables qui conduit à la production, à la réalisation du geste dans l’instant. Pour cette pièce, la chorégraphe australienne propose à trois artistes de s’approprier son processus de recherche et ses matériaux chorégraphiques pour faire co-exister plusieurs registres de danse. L’écoute permet à chacun d’aller au-delà des partitions, d’en jouer ou de les briser pour rendre perceptible le corps matière et faire résonner les personnalités.
Dans la salle, où sont disséminés de petits bancs courbes, les danseurs apparaissent les uns après les autres, leurs danses se superposent parfois, se rencontrent, se répondent. Nous observons avec bonheur quatre artistes à l’œuvre. Conscients, ouverts à l’immédiateté du geste, immédiateté à soi et à l’autre, ils sont à l’écoute et au présent. Pendant une heure, l’accumulation, la répétition, la juxtaposition dans un même lieu, un même temps crée un courant qui traverse l’espace autant que les personnes présentes. La même impression que devant des musiciens en improvisation libre, tous témoins d’un moment de création, de singularités émergeant dans le collectif.
Les danseurs transforment l’espace autour d’eux, le rétrécissent, le remplissent jusqu’au haut des gradins inoccupés, l’agitent. Les respirations sont très présentes, les bruits de corps, de pas, de sauts. Rosalind Crisp laisse échapper — ou encourage à laisser échapper— certains sssste sonores. Cet instrument qu’est le corps, chacun le connaît, le travaille quotidiennement. La matière gestuelle dépasse le corps comme la matière sonore peut submerger l’instrument. Le geste est une matière qui se crée et se pétrit, un flux que suit le danseur dans le temps même où il l’initie, un temps durant lequel rien n’est certain mais tout est possible.
D a n s e (4) rappelle l’existence d’une danse du temps et de la matière, une danse composée et libre dont l’écriture n’est pas la closure.
— Conception et chorégraphie : Rosalind Crisp
— En collaboration avec : Céline Debyser, Max Fossati, Alban Richard
— Musique live: Hansueli Tischhauser
— Costumes : Maeva Cunci
— Lumière : Marco Wehrspann
— Assistant lumière : Vincent Paoli
— Remerciements : Isabelle Ginot, Andreas Müller, Lizzie Thomson