Cyril Hatt
Cyril Hatt
Cyril Hatt semble prendre un certain plaisir à jouer avec notre perception du volume. Il mène un travail dans lequel la photographie, envisagée comme un matériau, subit une série de détournements. Ainsi, ses images sont morcelées, éclatées ou reconstruites, grattées, griffées, déchirées et réagrafées. Depuis 2003, sa production s’oriente vers les volumes photographiques.
Les objets photographiés sont reproduits à leur échelle en 3D, après avoir subi une serie d’altérations et de montages. Il tente ainsi à recomposer des “paysages d’images” dépossédés de leur fonction d’origine, rendus sensibles et détachés du ludique ou de l’anecdote.
Paradoxalement bricolé et sophistiqué, le résultat est particulièrement troublant. Ces objets du quotidien n’ont finalement que leur fragilité à nous offrir. Mises en vitrine comme dans une boutique de chaussures ou un salon de démonstration automobile, ces oeuvres, objets de consommation – signes d’ostentation – mais aussi oeuvres d’art, sorte de ready made modifiés, nous confrontent à la fois à notre désir insatiable et à la vacuité de sens de la société de consommation. (Nicolas Rosette)
De natura rerum
La stéréophotographie est un procédé qui permet de créer l’illusion du relief en superposant deux photographies prises d’un même objet ou lieu, mais à partir de points de vue légèrement différents, recréant la distance entre les deux yeux. C’est de centaines de points de vue qu’a besoin Cyril Hatt pour recréer le relief sans passer par l’illusion d’optique.
Si l’on y regarde de plus près, l’illusion ne tient pas : mobylette, voiture, appareils électroménagers, paires de chaussures et tous les objets qui voudront bien se laisser prendre aux ambiguïtés photographiques de Cyril Hatt, sont non pas des reconstitutions mais des fantômes.
Creux, vides, hâtivement collés avec les moyens du bord, ce sont à plus d’un titre, des illusions. Illusion de l’image, illusion du relief, tentation illusoire de posséder le corps et l’âme de l’image.
Avec des moyens techniques sommaires (un appareil photo numérique, une imprimante basique, du papier des consommation courante) et une patience à toute épreuve, Cyril Hatt reconstitue, souvent dans l’à peu près causé par le calage des images, ce qui est tombé devant son objectif.
Objets courants, tentation moderne, outils obligés, tout y passe. Pour dire que tout objet (même de consommation) est illusion ? Il rejoindrait alors l’ordre symbolique de la nature morte des seizième et dix-septième siècles. Un monde silencieux, une vie en attente.
Observation et patience lui permettent donc de reconstituer des formes humbles où usage et usure se rejoignent. Ici mobylettes, voitures, appareils électriques et outils ménagers, paires de chaussures ou appareils photographiques ne sont plus pris dans la mode ou la tentation. En les privant de leur séduction, en les remontant comme des puzzles, en fragilisant tout ce qui faisait leur valeur marchande, Cyril Hatt les fait passer en contrebande du côté de l’art. (François Bazzoli)