Walter Benjamin écrivait que «toute passion confine au chaos» mais que «la passion du collectionneur, en ce qui la regarde, confine au chaos des souvenirs». Ce chaos des souvenirs, je trouve qu’il sied bien à l’oeuvre de Cyprien Gaillard dont la démarche artistique elle-même s’apparente aussi, au fond, à une gigantesque collection.
Cher Cyprien Gaillard, vous êtes, sur tous les continents et pour toutes les époques, l’archéologue de toutes les destructions. De l’Ecole cantonale d’art de Lausanne, dont vous êtes sorti diplômé il y a six ans à peine, jusqu’au Centre Pompidou et au Musée d’art moderne de New York, en passant par l’exposition bien nommée «Younger than Jesus», ou encore la ville de Berlin où le D.A.A.D vous a accueilli en résidence, vous avez accompli une trajectoire fulgurante.
Vous dites volontiers de vous-même que vous êtes un «artiste d’extérieur». Bourlingueur dans les sites les plus préservés de l’humanité au Mexique comme sur les bunkers des plages néerlandaises, dans les cités HLM britanniques ou les terrains vagues de Moscou, vous y photographiez et inventoriez d’un même geste les traces architecturales du passé et du futur. De là vient votre goût pour le référencement photographique et vidéo toujours exigeant, cohérent et inattendu, à l’image de vos Analogies géographiques, vitrine de 900 polaroïds qui font partie de cette exposition, à travers laquelle on retrouve aussi l’esprit des Caprices de Piranèse.
Vous dites que la destruction n’est que le point de départ de vos oeuvres, jamais la fin. L’une des photographies de la Grande Allée du Château d’Oiron montre ainsi l’interminable allée d’honneur de ce château de la Renaissance, recouverte de tonnes de gravas provenant de la destruction d’une tour d’Issy-les-Moulineaux. Je me rappelle aussi avoir regardé longuement, captivé, au Palazzo Grassi, le film que vous avez réalisé à partir de la destruction des tours de Glasgow, devenues pour l’occasion, comme vous le dites si bien, les «monuments d’un soir». Vous avez, dans votre travail, magnifiquement tiré sur le fil tendu par une phrase de Diderot: «Il faut ruiner un palais pour en faire un objet d’intérêt».
Jean-Christophe Bailly a écrit dans une de ses critiques que «l’art moderne peut se raconter comme une longue descente dans un paysage dont on aurait fini par sortir». C’est aussi en cela que vous êtes notre contemporain, et le digne récipiendaire de ce prestigieux prix, que j’appelle Gilles Fuchs à vous remettre maintenant avec moi.
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— Critique d’une exposition de Cyprien Gaillard