ART | CRITIQUE

Cybernetic still life

PMarie Bertin
@04 Mar 2010

Si les Still Life de Stephen Willats sont peut-être des natures mortes, mais des Cybernetic Still Life. Des installations mêlant photographies, peintures, vidéos, et schémas qui conduisent vers la philosophie, la sociologie, et la cybernétique...

La cybernétique, qui étudie les mécanismes de communication, d’interaction et de contrôle chez les êtres vivants et dans les machines, ne se préoccupe a priori guère de natures mortes. Or, avec ses Cybernetic Still Life, Stephen Willats pose que l’inerte ne l’est pas véritablement. L’objet mort interagit avec son environnement inerte ou vivant, des choses et des hommes.

La vidéo A Progression of Signs (rue Rebeval) enchaîne sur un téléviseur les gros plans fixes et tremblés sur à peu près tout ce que la rue compte de détritus, de mobilier urbain, de graphismes, de «signes»: une canette, un ticket de métro, la craquelure d’un mur, une poignée de porte, un sigle, une publicité, les touches d’un interphone…
Tous ces éléments additionnés révèlent la puissance de ces signes, leur force d’attraction. Si, selon Walter Benjamin, «ni dans la nature animée ni dans la nature inanimée, il n’existe évènement ni chose qui, d’une certaine façon, n’ait part au langage», cette vidéo présente un langage, celui du déchet, du mur, et plus généralement, celui de la rue.

Ces relations secrètes que nous entretenons avec notre environnement, Stephen Willats les rend encore visibles en mêlant dessin et vidéo, schémas et photographie.
Dans Cybernetic Still Life 1 chacun des deux schémas d’immeubles peints en noir et blanc sur toute la hauteur du mur de la galerie accueille une vidéo. Les images de pots et de vases de céramique de couleurs vives contrastent avec le noir et blanc des bâtiments schématisés. Le film présente l’intérieur d’un immeuble simultanément à son extérieur, le contenu et le contenant.

Dans Cybernétic Still Life 2 une austère barre d’immeuble sert de cadre à une projection vidéo. Des films en noir et blanc montrent une succession de passants en couples. Un premier film a été réalisé sur les Champs-Élysées, l’autre près du Forum des Halles. Qu’ils flânent, rient, mangent ou cherchent leur chemin; qu’ils soient jeunes, vieux, touristes ou cadres, ces passants toujours par deux, évoluent dans une rue pleine de monde.
On scrute l’allure ou la condition de ces paires d’hommes et de femmes, on s’improvise sociologue en se servant de l’œuvre comme d’un document d’investigation scientifique.

L’installation Life In Various Forms est constituée de quatre cadres présentant chacun quatre objets photographiés, peints, découpés et disposés sur un quadrillage noir. Sous chacune de ses dispositions un schéma, un mot et une expression.
Les mots «Discovery», «Exhibition», «Invention» et «Magic» sont respectivement associés aux expressions: «Chance assembly», «Transient encounters», «Unfolding story», et «Infinite transformation». Ce qui suggère une progression, un processus.
Dans les objets présentés s’établissent des rencontres à partir desquelles une histoire se tisse. Stephen Willats décrit-il ici le processus de création par lequel l’homme rentre peut-être le plus profondément en relation avec l’objet inerte. En créant, l’artiste imprègne autant la matière qu’elle ne pénètre en lui.

Autant que l’immeuble que nous avons édifié, le moindre des objets que nous avons créés nous influence à son tour. C’est la rétroactivité, processus clé de la cybernétique, qui opère sans doute nulle part autant que dans l’environnement urbain.
Les habitants des grandes villes sont constamment sollicités par une myriade de passants, d’images, d’objets, comme l’ont bien observé les sociologues, les psychologues, ou les philosophes.
C’est entre ces domaines que navigue l’art conceptuel de Stephen Willats, qui préfère au terme «artiste» celui de «designer concept».

Liste des Å“uvres
— Stephen Willats, A Progression of Signs (Rue Rebeval), 2009. Vidéo (6 min).
— Stephen Willats, Moving Around, 1999. 4 cadres, photos, peinture acrylique, 29,6 x 103 cm, 66,1 x 29,5 cm, 66 x 29,5 cm, 56 x 58,1 cm.
— Stephen Willats, Life in Various Forms, 1993-1994. 4 cadres, photos, peinture acrylique, 84 x 57 cm.
— Stephen Willats, Cybernetic Still Life 1, 2009. Installation : peinture acrylique (sur mur), 2 vidéos (3 min). Dimensions variables.
— Stephen Willats, Cybernetic Still Life 2, 2009. Installation : peinture acrylique (sur mur), 2 vidéos (3 min). Dimensions variables.

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