Les œuvres de Gary Hill sont des installations savantes s’articulant autour d’un assemblage de nouvelles technologies. Féru de nouvelles techniques, toujours à la pointe, Gary Hill met le bleu de chauffe pour mettre au point cette exposition. La qualité de ses créations provient notamment de leur capacité à combiner des lecteurs multimédias haute-définition, ou des vidéoprojecteurs «dernier cri», afin de composer des images de synthèse hyperréalistes ou des univers pour le moins troublants.
L’exposition «Cutting Corners Creates More Sides» présente notamment des œuvres dans lesquelles le spectateur se trouve totalement immergé. Dans Isolation Tank, nous sommes perdus en plein milieu d’un océan créé à partir d’images de synthèse. La caméra aérienne plonge ensuite vertigineusement vers la surface de l’eau, où l’on voit un objet flotter: il s’agit d’une planche sur laquelle on perçoit une étrange inscription, comme un visage changeant presque imperceptiblement de traits. Tout à coup, une immense vague surgit et s’abat violemment sur la planche, la coule, puis celle-ci remonte à la surface, et l’on se retrouve alors au point de départ de la vidéo, qui repart en boucle. Ainsi, cette œuvre épouse d’abord un point de vue global, puis se rend attentive à la moindre perturbation apparaissant sur la surface d’un objet dérivant au milieu de l’océan. Elle propose aussi un changement de rythme assez fulgurant: une eau paisible, lisse et dormante, est soudain traversée par un raz-de-marée, dont le grondement et la vision gigantesque nous effraient un instant.
Gary Hill interroge donc nos mécanismes perceptifs et perturbe nos sens. L’installation Cutting Corners Creates More Sides déstabilise littéralement notre vision. Deux caméras offrent une vue ininterrompue sur d’étranges objets, vue qui se disloque sitôt qu’elle est constituée. A cette perturbation du champ de la vision vient s’ajouter une autre «bizarrerie»: l’on entend la voix de Gary Hill prononcer des phrases nébuleuses. Cette voix monocorde va et vient le long d’un plateau noir criblé de hauts parleurs. Les paroles se rendent ainsi plus ou moins compréhensibles à mesure qu’elles se rapprochent ou s’éloignent sur le plateau d’enceintes. Par là , nous sommes incapables de fixer durablement les choses qui se présentent à nous visuellement, tout comme nous sommes dans l’incapacité à tenir le fil du discours de Gary Hill. Dans les deux cas, ce qui se présente à nous s’échappe aussitôt – au moment même où l’on croit pouvoir le saisir. Notre univers perceptif se désagrège finalement: il n’existe plus d’objets aux contours durablement identifiables. Il n’y a plus non plus de langage clairement distinct et structuré. Les articulations demeurent mal définies et les mots, habituellement si maniables et si bien connus, ne cadrent plus avec aucune réalité. Ils semblent bien plutôt suivre le cours chaotique d’une conscience qui tâtonne dans son approche du réel.
En effet, «Cutting Corners Creates More Sides» s’intéresse tout particulièrement au fonctionnement de la conscience, et à sa manière de se rapporter à la réalité. Imagining Brain Closer than Eyes (Cutting Corners) reprend par exemple les investigations des neurosciences, en présentant des coupes du cerveau humain et des différentes zones qui le composent. Alors, l’émergence de la conscience se réduit-elle au fonctionnement du système nerveux? Les perceptions des sens sont-elles uniquement explicables par des mécanismes physiologiques, observables sur des radios ou des scanners? Gary Hill préfère quant à lui s’aventurer dans les méandres d’états de conscience «perturbés». Depth Charge projette une image 3D d’un guitariste soliste, créant une ambiance pour le moins psychédélique, tandis que cinq écrans disséminés au sol rapportent les «trips» d’un Gary Hill en pleine introspection mystique: Où suis-je? Comment se crée le sens? Comment les choses nous sont-elles intelligibles? Par la vision, par la pensée? s’interroge notamment l’artiste, dont la conscience est altérée par l’effet d’un psychotrope. Tel est enfin le thème de la vidéo The Psychedelic Gedankenexperiment. Gary Hill y prononce un texte, tout en construisant une maquette moléculaire correspondant au LSD. Cette drogue constitue-t-elle un spectacle tout fait, en altérant notre perception et notre conscience? La performance de Gary Hill, se déployant dans un espace clos conçu par ordinateur, et entièrement exécutée à l’envers (paroles et mouvements) puis remise à l’endroit, n’est pas sans rappeler les passages les plus intrigants de Twin Peaks de David Lynch. Elle cherche en effet à savoir s’il n’est pas un autre régime de l’esprit que celui de ladite conscience, et s’il n’est pas une antichambre à celle-ci, dans laquelle notre esprit vagabonde et emprunte des circuits restés jusque-là inexplorés.
Å’uvres
— Gary Hill, Isolation Tank, 2010-2011. Installation vidéo sonore monocanal haute définition, 1 vidéoprojecteur HD, un ampli stéréo, 2 haut-parleurs, 1 lecteur multimédia HD et 1 fichier audio-vidéo (couleur, son stéréo).
— Gary Hill, Cutting Corners Creates More Sides, 2011-2012. 2 vidéoprojecteurs HD, 1 mac mini, graphics expansion module, multi-channel audio interface, 3 ampli stereo, hauts parleurs, table en aluminium à 6 roues, 2 panneaux. 315 x 275 x 610 cm
— Gary Hill, Depth Charge, 2009-2012. 1 vidéoprojecteur HD, 5 écrans LCD de 53 cm, 6 lecteurs multimédia, 6 fichiers audio-vidéo, 1 ampli multicanal (DIY), 5 haut-parleurs nus de 7,5 cm, 1 ampli stéréo, 2 haut-parleurs hi-fi, câbles, prolongateurs, adaptateurs, 400 µg de LSD-25
— Gary Hill, The Psychedelic Gedankenexperiment, 2010-2011. Installation multimédia (version monocanal en deux dimensions), 1 Vidéoprojecteur HD, 1 lecteur multimédia, 1 clé USB, 1 fichier audio-vidéo, 3 sièges en mousse polystyrène, 1 texte mural, 2 amplis sur trépieds
— Gary Hill, Imagining Brain Closer than Eyes (Cutting Corners), 2011-2012. Installation multimédia, 1 Vidéoprojecteur HD, 1 lecteur multimédia, 1 clé USB, 1 fichier audio-vidéo, casque d’écoute, boîte en bois, 34 photographies.